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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Aussi ai-je l'intention de lui adresser très bientôt une demande d'audience protocolaire, bien que je ne sache comment la lui faire parvenir, dit Charles.
     
    – Timbo se chargera de l'expédition. C'est un garçon débrouillard. Mais je dois vous prévenir que vous n'aurez pas affaire à une femme ordinaire.
     
    – Malcolm Murray la compare aimablement à la gorgone Méduse, observa Charles.
     
    Le major haussa les épaules, signifiant par là qu'il s'agissait d'une appréciation calomnieuse.
     
    – Lamia a certes une étonnante chevelure, mais ses mèches tire-bouchonnées ne sont pas des serpents, rectifia-t-il.
     
    – Une chance !
     
    – Il est exact, en revanche, qu'elle n'entretient avec son frère que des relations épisodiques et formelles, et qu'elle veille à maintenir l'intégrité de son îlot. Buena Vista est son domaine privé. Elle y règne sur une population indienne, noire et métisse. Des pêcheurs d'éponges, de conques, de mérous, de langoustes, et des cultivateurs qui font pousser d'excellents légumes, élèvent porcs, moutons et poulets. Sa table, au dire de Colson et du docteur Kermor, ses rares amis, serait meilleure que celle de son frère.
     
    – Peut-être m'invitera-t-elle au lunch  ?
     
    – Si vous avez l'heur de lui plaire, c'est possible. Mais je crains sa réaction quand vous lui parlerez pont. Sachez qu'elle a regardé comme une aubaine la destruction par le dernier ouragan du pont de bois qui reliait les deux îles. Vous aurez donc à user du charme français pour lui faire accepter la construction imposée par son frère, ajouta avec un sourire malicieux le major Carver.
     
    Charles Desteyrac n'avait pas prévu une telle situation. Il se promit d'en parler à Cornfield dès leur prochaine rencontre. En attendant, il souhaitait en savoir plus long sur la personnalité de la sœur du lord.
     
    – Lamia : d'où lui vient ce prénom qui n'a rien de chrétien ? Si je me réfère à mes souvenirs de collège, Lamia était le nom d'une déesse qui, ayant provoqué la jalousie de Junon, fut transformée en monstre, dit-il.
     
    – Eh oui ! La matrone de l'Olympe en fit une femme-serpent, vouée à manger tous les enfants qu'elle rencontrerait, précisa le major en riant.
     
    – La sœur de lord Simon, que je n'ai fait qu'entrevoir lors de ma première reconnaissance au sud de l'île, n'a heureusement rien d'un monstre. De loin, elle m'a paru svelte, alerte et dotée en effet d'une impressionnante chevelure frisée. Elle n'a rien non plus d'une femme-serpent, dit Desteyrac.
     
    – Lamia serait plutôt une femme-poisson. Vous découvrirez qu'elle se plaît dans la compagnie des dauphins et qu'elle combat les requins avec des harpons que fabriquent ses pêcheurs d'éponges. D'ailleurs, les Arawak la nomment Fish Lady. Superstitieux, ils lui attribuent des pouvoirs surnaturels et se feraient tuer pour elle. Elle leur inspire par son courage – je devrais plutôt dire par sa témérité – un respect religieux.
     
    – Cela n'explique pas l'origine de ce prénom, insista Charles.
     
    – Mon cher, il nous faudrait entrer là dans l'histoire très particulière de la famille.
     
    – Je ne veux pas être indiscret ; pardonnez ce qui, cette fois, est pure curiosité ! dit l'ingénieur.
     
    – Vous êtes destiné à vivre ici un certain nombre de mois, peut-être d'années, je suppose. Plutôt qu'accorder crédit à ce que ne manqueront pas de vous raconter les uns ou les autres, mieux vaut que je vous donne la version exacte.
     
    Le major observa un instant de réflexion, comme s'il sélectionnait par la pensée les confidences qu'il se préparait à faire. Il prit aussi le temps d'emplir à nouveau les verres, invita Desteyrac à boire, tira une longue bouffée de son cigare et, les yeux au plafond, se mit à parler un ton plus bas.
     
    – Voyez-vous, Maxence Cornfield, le grand-père de Simon, ne resta pas veuf, et je dois reconnaître que c'est indirectement la mort de son fils qui le conduisit à convoler. Au printemps de l'année 1815, nous nous rendîmes tous deux à New Orleans, à bord du Centaur , le brick que commande Rodney, pour ramener à Soledad le corps d'Alister, qui devait être enterré sur l'île. J'étais jeune alors et ne faisais, comme secrétaire-intendant, qu'exécuter les ordres. C'est pendant ce séjour que Maxence – il avait cinquante-neuf ans, âge qu'il portait allégrement – rencontra une veuve

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