Le porteur de mort
flammes ne tardèrent pas à monter. Chanson s’esquiva alors vers la porte, le dos contre le mur, l’arbalète toujours chargée par terre devant lui. Ranulf s’adossa au pilier qui se désagrégeait et contempla l’assassin. Il frissonna. Il ne revoyait pas le cadavre de Scrope mais celui du malheureux Chanapan et des autres innocents abattus par ce meurtrier. Il se demanda si les méditations de son maître sur la mort et la justice l’avaient influencé. Les infortunées victimes de ce tueur se rassemblaient-elles céans pour exiger vengeance et châtiment ?
Corbett prit une gourde et retourna près du feu qui le séparait de son adversaire. Il proposa à boire à ce dernier qui refusa d’un signe de tête. La froide arrogance que le magistrat pouvait lire dans les yeux du chapelain lui répugnait : il avait affaire à un homme qui ne craignait rien, qui avait encore confiance en lui. Comment se défendrait-il en dernier recours ? Corbett aperçut la croix pendue à une chaîne autour du cou de Benedict Le Sanglier. Voilà la réponse ! Le prisonnier, malgré toutes ses scélératesses, était-il un prêtre sincère qui réciterait le premier vers du psaume 50 et en appellerait au privilège de clergie pour échapper aux rigueurs de la loi ? Ce criminel aux mains rouges de sang ne comparaîtrait-il devant un tribunal ecclésial que pour recevoir une légère punition ?
— Je suis prêtre, déclara Benedict qui semblait avoir lu dans les pensées du magistrat.
Déjà, en dépit de la sinistre nef hantée, du froid glacial qui s’insinuait partout, des liens autour de ses poignets et des armes prêtes à l’occire, Maître Benedict Le Sanglier était disposé à faire valoir ses droits.
— Entendu, Maître Corbett...
Il accompagna son insulte délibérée d’un sourire.
— ... j’ai commis une erreur. Pour le moment, je suis votre captif. J’ai été trop impétueux, pressé de partir. Ma tâche était finie, donc...
— Votre tâche, rétorqua Corbett, consistait à occire Oliver Scrope.
Il tendit les mains vers le feu.
— Donc, Maître Benedict, pour le moment, je vais jouer les maîtres d’école. Je vais élaborer une argumentation fondée davantage sur une hypothèse que sur des preuves. Néanmoins, quand j’approcherai de la conclusion, l’évidence s’imposera. Alors, pour poursuivre les comparaisons, vous, vous êtes semblable à un maître maçon ; vous êtes le génie derrière la demeure du crime que vous avez érigée avec tant de soin. Cela a débuté à Acre en 1291. Nous avons tous ouï l’histoire officielle, mais je crois qu’il y a une importante différence : Gaston de Béarn, le cousin de Lord Oliver, n’a point trépassé là-bas. J’en suis persuadé. D’une façon ou d’une autre, il a survécu à la trahison de Scrope, à sa tentative de meurtre et il a fini par fuir en France.
— S’il l’a fait, ricana le chapelain, pourquoi n’est-il pas revenu en Angleterre ?
— Pour affronter Lord Scrope, un puissant seigneur, un héros, un croisé jouissant de la faveur du roi qui aurait été accusé par un étranger et sur quel fondement ? contesta le magistrat en hochant la tête. Non...
Il claqua de la langue.
— ... cela aurait été trop dangereux et il n’y aurait rien gagné.
Il s’interrompit.
— En fait, d’après le peu que je sache sur Gaston de Béarn, je pressens qu’il ne se serait pas abaissé à faire cela. C’était un preux, un modèle pour les autres, que ce soit vous et les Frères du Libre Esprit, Dame Marguerite, qui l’aimait, voire même Lord Oliver, qui était hanté par ce qu’il avait fait.
Maître Benedict changea de visage : un instant, l’arrogance fit place à une franche reconnaissance des faits.
— Gaston s’est échappé, reprit le magistrat, et des liens étroits se sont créés entre lui, vous et les Frères du Libre Esprit. En fin de compte, vous et eux êtes venus en Angleterre pour vous venger de Lord Scrope. Pourquoi ? À cause de Gaston, je pense. Primo : les Frères du Libre Esprit ont pris grand soin de rappeler à Scrope ses méfaits ; ce qui explique la fresque de St Alphege ainsi que leur cartouche de l’Enfer où Lord Oliver se trouve au centre. Ah oui, ajouta le clerc, nous avons vu ce qui était enterré avec Le Riche, le trésor et les dessins. Ces deux derniers renferment aussi de curieux symboles. Il me semble que c’est de l’arabe. J’ai découvert dans la
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