Le porteur de mort
fresque de St Alphege ces mêmes signes géométriques que les artistes musulmans aiment beaucoup. L’auteur de tout cela, quel qu’il soit, avait vécu en Terre sainte et connaissait les arabesques. Secundo : les Frères du Libre Esprit étaient armés et avaient prévu d’attaquer, de tuer ou d’enlever Lord Oliver. Tertio : vous faisiez partie du complot. Vous avez usé de la fortune de Dame Marguerite pour leur acheter des armes. Vous les avez aussi renseignés sur la retraite dans l’île des Cygnes et le gué secret. Non, non...
Corbett leva la main.
— Je m’expliquerai tout à l’heure. Quarto : la fresque de St Alphege représente des herbes ou des plantes, en fait de la belladone, la potion avec laquelle Lord Scrope a sans doute tenté d’empoisonner Gaston dans l’infirmerie d’Acre il y a bien longtemps. Vous avez choisi le nom de Nightshade, la belladone, quand vous avez rendu visite au père Thomas et avez menacé Scrope de mort à moins qu’il n’avoue ses péchés sur les marches de la croix du marché de Mistleham. Quinto : lors de l’une de nos conversations, vous avez commis une terrible erreur. Vous avez dit qu’à Acre les survivants avaient été massacrés dans la cour du dragon. Comment pouviez-vous savoir le nom d’une cour du Temple dans un petit donjon en Terre sainte ? Cela justifie-t-il aussi le dragon au-dessus du château dans la fresque de l’église paroissiale ?
— Et Dame Marguerite aurait participé à tout cela ? railla le chapelain. Voulez-vous dire qu’elle était ma complice ? Elle, qui adorait Scrope, son frère ?
CHAPITRE XV
« Ad audiendum et terminandum ― pour entendre et conclure l’affaire. »
Lettre d’Édouard I er , 19 novembre 1303.
— Écoutez, et écoutez bien, déclara Corbett en s’installant plus commodément. Vous et les Frères du Libre Esprit étiez proches de Gaston de Béarn. Comment et pourquoi, je l’ignore encore. Vous êtes sans conteste un prêtre français alors qu’ils formaient, eux, une bande errante vivant au jour le jour jusqu’à ce que Gaston vous narre, ainsi qu’à leurs chefs, une épouvantable histoire : son ami intime, son parent, l’avait abandonné à Acre quand il était croisé et, pire encore, l’avait presque occis. Je pense qu’il vous a dit la vérité alors qu’il allait mourir, qu’il était au soir de sa vie. Vous et les Frères du Libre Esprit avez juré de vous venger. Vous, un prêtre instruit, jouissant de quelque protection, avez obtenu des lettres de recommandation vous permettant et leur permettant d’aller en Angleterre. Vous êtes venu le premier pour épier, apprendre et organiser. À l’instar de tous les tueurs rusés que j’ai rencontrés, vous savez travestir votre visage, vos actes, votre âme même, mieux que n’importe quel comédien. Vous êtes arrivé à St Frideswide, jouant les curés benoîts en quête d’une cure. Dame Marguerite vous a, bien entendu, reçu. Elle a pris connaissance de vos missives, mais vous aviez aussi apporté autre chose : la preuve, qu’il s’agisse de lettres ou d’objets, de ce qui s’était vraiment passé à Acre.
— Et Dame Marguerite a tout bonnement accepté cela ?
— Elle a d’abord protesté, douté, mais je suis certain que dans cette sacoche vous déteniez un message de Gaston, un anneau peut-être, un souvenir. Et, surtout, vous aimiez Gaston, vous aviez vécu à ses côtés, il tenait une place importance dans votre vie, et il en était de même pour l’abbesse. Vous avez fait de lui un portrait précis tant de ses traits que de son esprit. Dame Marguerite a vite été convaincue.
— Elle était abbesse...
— Non, Maître Benedict, elle était avant tout l’ardente amante de Gaston. Elle a indirectement fait référence à des rêves du passé. Il fut la grande passion de sa jeunesse. Gaston et elle auraient pu la cacher à Scrope, mais une flamme brûle aussi fort en secret qu’en pleine lumière. J’ai bavardé avec de vieux serviteurs du manoir ; ils ne le nient point. Je pense qu’ils se sont promis l’un à l’autre, qu’ils se sont juré des voeux éternels avant que Gaston accompagne Lord Oliver en Terre sainte. Dame Marguerite a attendu des nouvelles. Elles ont fini par arriver : son frère rentrait, mais Gaston, son bien-aimé, son âme, était mort.
Aux aguets, Maître Benedict était à présent tout ouïe.
— Ne pouvant s’unir à personne d’autre, Dame
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