Le porteur de mort
spécialement des Cotswolds. Il s’enorgueillissait d’un toit pentu de tuiles sombres, de souches de cheminées et de larges fenêtres, certaines garnies de corne amincie 1 , d’autres, à meneaux, ornées de verre ou même de vitraux sertis dans leur scintillant encadrement noir. Un majestueux perron menait à la splendide porte d’entrée. La partie principale de la demeure était constituée d’une longue salle surmontée d’un étage et flanquée d’ailes à chaque extrémité. Un quatrième côté, percé en son centre d’un imposant portail, complétait le carré. Il ouvrait sur une vaste cour pavée, une baille, où se trouvaient cuisines, écuries, appentis, forges, chenils et logements des serviteurs. Des valets portant la livrée feuille-morte et vert accoururent pour s’occuper de leurs chevaux pendant que d’autres les escortaient à l’intérieur afin qu’ils rencontrent frère Gratian. Le dominicain expliqua à voix basse qu’il y avait eu « un malencontreux et fort fâcheux incident un peu plus tôt dans la journée », mais déclara que, si Dieu le voulait, Lord Scrope et Lady Hawisa les verraient plus tard, au banquet préparé en leur honneur.
On attribua à Corbett un appartement particulier donnant sur la galerie de Jérusalem, dans l’aile est. Ranulf et Chanson devaient partager la chambre de Damas, ainsi que l’on appelait la pièce sise au-dessus du grand corps de garde. Le magistrat ne tarda pas à constater que leur hôte vivait dans le luxe. Au rez-de-chaussée, le sol était dallé et, dans les étages, les parquets reluisaient. Les murs étaient recouverts à mi-hauteur de lambris de chêne ouvragé en plis. La partie haute, plâtrée, peinte d’un reposant vert clair, était rehaussée de tentures colorées, de tapisseries, de diptyques, de tableaux et de croix sculptées avec art. Les meubles étaient eux aussi superbes. Dessinés avec précision et taillés dans un bois luisant, ils sortaient, de toute évidence, des mains habiles des artisans de Londres ou de Norwich. La pièce occupée par Corbett était celle que l’on donnait toujours aux invités d’honneur. Frère Gratian confia que le souverain en personne y avait séjourné vers la Saint-Michel environ trois ans plus tôt et l’avait fort appréciée. Corbett acquiesça avec chaleur. Un large lit à quatre montants, agrémenté de courtines rouge et or à glands d’argent, trônait dans la chambre. De part et d’autre, on avait disposé des tablettes en chêne supportant des candélabres à six branches pourvus de longues bougies effilées d’un blanc pur. Un coffre à serrures et à fermoirs se trouvait au pied de la couche afin que l’invité puisse y serrer ses biens, et, accotée au mur du fond, il y avait une armoire avec des crochets et des étagères pour ranger les vêtements. On avait aménagé un coussiège {12} dans l’embrasure de la fenêtre à petites vitres. Sous l’étroit oriel, une table de travail et une chaire rembourrée de cuir avaient été installées. Au milieu de la table, un crucifix d’argent surplombait un plateau de plumes appointées et un ensemble d’encriers, sabliers, pierres ponces et canifs. De légers braseros à roulettes, scintillant sous leur couvercle et faciles à déplacer afin de répandre leur chaleur au parfum d’herbes, réchauffaient les lieux. Dans un coin, on avait disposé un grand lavarium avec une large cuvette ; sur l’autre tablette, un panier d’osier offrait des savons rares et sur les tringles qui sortaient du socle s’étalaient serviettes et toailles. Frère Gratian fit savoir que les laquais apporteraient de l’eau chaude et un cuveau de bois pour le bain. Il ajouta qu’une garde-robe était située tout près dans la galerie extérieure et que – il désigna la table proche de l’huis – vin, eau et bière seraient toujours disponibles.
Corbett n’écoutait que d’une oreille tandis que Chanson rangeait ses sacoches et ses besaces de la chancellerie. La personnalité du dominicain l’intéressait davantage. Il avait déjà rencontré des membres de cet ordre et en avait apprécié certains. D’autres semblaient dévoués corps et âme à la réalisation de quelque tâche particulière dévolue par le Seigneur. Le père Gratian appartenait à la seconde catégorie. Vêtu de noir et blanc, la taille serrée par une cordelette, de lourdes sandales aux pieds, il avait tout d’un inquisiteur. Le visage était émacié, les
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