Le porteur de mort
danger la paix du royaume et l’enseignement de l’Église.
Lord Scrope plongea la main au fond du coffret, prit un sac en velours, en desserra le cordon et en extirpa le poignard du meurtrier. Il le brandit, lame d’acier incurvée à la pointe dangereuse, manche de bronze rainuré pour permettre une meilleure prise et ruban rouge des Assassins, emblème personnel du Vieil Homme de la Montagne, fané et usé, encore noué autour. L’inestimable dague volée dans le trésor royal dans la crypte de l’abbaye de Westminster ! Scrope avait lu le document scellé de la chancellerie qui détaillait tous les biens dérobés ainsi qu’une liste de ceux qui étaient impliqués. Il avait ouvertement mandé à ses propres partisans, y compris Maître Claypole le maire, de ne pas perdre des yeux les étrangers qui venaient à Mistleham négocier ou vendre des biens de valeur. Claypole, orfèvre de son état, s’était révélé adroit diplomate lors des négociations secrètes. L’un des lieutenants de Puddlicott avait surgi et avait approché sans crainte le maire avec le poignard en question et l’offre d’autres objets inappréciables. On s’était emparé du voleur, John Le Riche, et on l’avait sans mal réduit au silence. La dague, bien sûr, ne pouvait être dissimulée. Scrope et Claypole s’étaient mis en quête du reste du trésor, mais – Scope grinça des dents – en vain. Encore une malveillante ingérence des Frères du Libre Esprit ! Il avait, comme il se doit, parlé au souverain du poignard. Édouard avait été si reconnaissant : il devrait s’en souvenir ! Quant à Le Riche, un des chefs de la bande de Puddlicott... Scrope avait décidé que les morts tenaient leur langue. Il avait jugé le larron de façon expéditive et l’avait pendu au gibet du carrefour menant à Mistleham.
Scope reposa les objets et referma les serrures de l’arche et du coffret. Il se sentait mieux. Il s’approcha de la lourde et massive porte en chêne, fit glisser le judas et jeta un coup d’oeil à l’extérieur. La grisaille se dissipait. Il était temps de rentrer. Il fit tourner la clé, tira les verrous du haut et du bas, ouvrit l’huis et, immobile un instant en haut des marches, rassembla ses forces pour affronter le vent mordant. Il baissa les yeux vers le petit débarcadère où son bateau était amarré. Le chemin était éclairé par des feux qui brûlaient encore joyeusement dans leurs hauts tonneaux de poix. La neige fraîche qui à présent recouvrait tout ne les avait pas éteints. Il examina la rive en face en quête de Romulus et Remus. Ses yeux se posèrent sur le bouquet de vieux chênes ; le feu allumé pour réchauffer les chiens avait baissé. Il distingua les formes sombres couchées sur le tapis blanc. C’était bizarre ! Son coeur s’emballa ; il siffla, mais seuls les croassements des corneilles et des freux lui répondirent. Il scruta l’autre côté du lac : ces deux piquets sur la rive opposée n’auraient pas dû se trouver là. Oubliant même de clore la porte derrière lui, Scrope dévala les marches. Ses mules rendant l’exercice périlleux, il s’en débarrassa d’un coup de pied, se précipita le long du débarcadère et se jeta dans l’embarcation. Jurant à tue-tête, il s’éloigna, ses bras puissants tirant sur les rames, tout en lançant des regards apeurés par-dessus son épaule.
Parvenu au mouillage, il se hissa tant bien que mal hors de l’esquif et contempla, horrifié, les têtes coupées de ses mastiffs. Leurs gueules aux babines retroussées n’étaient plus que des masques gelés ; du sang rutilait encore à l’encolure. Empalées de chaque côté du débarcadère, ce n’étaient plus que des tas de viande. Bien qu’il eût les pieds glacés, Scrope n’avait conscience que de la terreur qui affolait son coeur et lui retournait l’estomac. Il gravit la colline en direction du foyer où les chiens auraient dû s’abriter : leurs cadavres gisaient près du feu et, tout autour, la neige était rouge de sang. Il s’accroupit et examina les longues flèches mortelles qui transperçaient les carcasses – deux dans chacune. Il se releva avec peine, recula en titubant, et c’est alors qu’il entendit, strident dans l’air glacial, le son éclatant d’une trompe de chasse.
CHAPITRE III
« Concernant l’achat fait à un inconnu qui, récemment, après le vol du trésor de Westminster... »
Calendrier du Rôle des Patentes,
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