Le porteur de mort

en automne, veillons en hiver, cultivons au printemps et récoltons en été. A Mistleham, une moisson ensanglantée a poussé, mais les semences... Le temps est la réponse à tout ce mystère. Quand cela a-t-il commencé ? Pourquoi ? Qui en a été responsable ? Alors, Ranulf, clerc principal de la chancellerie de la Cire verte, prends ta plume et imposons notre propre horarium, notre propre livre d’heures sanglantes sur le massacre de Mistleham.
    Corbett alla à la fenêtre.
    — Nous sommes aujourd’hui le mercredi 13 janvier, fête de Saint-Hilaire, en l’an de grâce 1304. C’est aussi le moment de cueillir les profits du passé, Ranulf, les fruits de graines semées il y a au moins treize ans, peut-être même plus.
    Il s’interrompit comme son compagnon se mettait à écrire en usant du code secret que son maître lui avait enseigné.
    — En 1291, reprit le magistrat, un groupe d’habitants de Mistleham – sans aucun doute enflammés de ferveur religieuse, ajouta-t-il, sarcastique – s’est rendu en Terre sainte sous le commandement de deux jeunes chevaliers, Sir Oliver Scrope et son cousin Gaston de Béarn. D’autres se sont joints à eux, y compris Maître Henry Claypole, l’actuel maire de la ville, qui, lors de cette expédition, a servi d’écuyer à Scrope. Acre est tombée le 12 septembre 1291. Nous ne savons pas ce qui s’est passé en réalité, pourtant, selon les comptes rendus...
    Il cessa son va-et-vient.
    — J’ai laissé des messages à Drokensford pour qu’il m’envoie un résumé des événements, de ce que les chroniques nous narrent. Mais, de toute façon, ce que ce genre de document ne nous dira pas c’est quel sort a été réservé à la troupe venue de Mistleham. Acre a été prise, Scrope et Claypole se sont échappés. Gaston, le cousin de Lord Oliver, est mort à l’infirmerie de ses blessures ; les autres ont été occis. Certes, tout cela pourrait être mis en doute, mais nous n’avons aucune preuve du contraire. En 1292, Scrope était déjà de retour en Angleterre avec les trésors volés au Temple et, notamment, le Sanguis Christi. Il devint un puissant seigneur ; le roi et le Conseil l’acclamèrent comme un preux croisé. Déjà enrichi par ses pillages et sa hoirie, on lui donna pour épouse une héritière bien dotée et il se mit à vivre dans la paix et l’abondance.
    « Entre 1291 et 1292, Marguerite, sa soeur, a pris le voile chez les bénédictines. Femme intelligente, jouissant de l’appui de l’Église, de la Couronne et de Lord Scrope, elle fut nommée abbesse de St Frideswide, le couvent bénédictin tout proche. Tout est alors calme et paisible à Mistleham. Le père Thomas rentre des guerres au pays de Galles. Prêtre repenti, il s’installe à St Alphege. Là encore, tout va bien. À l’automne 1302, Maître Benedict Le Sanglier occupe la charge de chapelain de Dame Marguerite. C’est bien ça ? Au mois de janvier suivant, frère Gratian devient confesseur de Lord Scrope. L’harmonie se poursuit jusqu’au carême de l’an dernier et l’arrivée des Frères du Libre Esprit, un groupe de religieux errants. Munis de lettres remises par la curie papale en Avignon, ils débarquent à Douvres, se rendent sans difficulté en Essex et s’installent dans les ruines de Mordern.
    — Pourquoi Scrope le leur a-t-il permis ?
    — Ils ne lui paraissaient pas dangereux. Ils étaient protégés par le père Thomas à qui, à la fin de l’été dernier et au début de l’automne, les Frères ont proposé de réaliser une fresque pour son église paroissiale. Dame Marguerite, elle aussi, les a pris en amitié. Les Frères du Libre Esprit étaient sans nul doute originaux, ni hérétiques ni schismatiques, bien qu’ils aient adopté une interprétation plutôt particulière de certaines doctrines ecclésiales. Nous ignorons qui ils étaient en réalité ; il est presque certain qu’ils étaient français, mais ils avaient emprunté leurs noms à l’Ancien Testament. Ils se proclamaient libres comme l’air. Il faudrait des années – si on y parvenait – pour découvrir de qui il s’agissait vraiment et d’où ils venaient. Puis, en novembre dernier, John Le Riche, un des membres de la bande qui a pillé le trésor de Westminster, apparaît à Mistleham avec, entre autres, le poignard avec lequel les assassins avaient attaqué Édouard en Terre sainte. Maître Claypole et Lord Scrope l’appréhendent, s’emparent de