Le porteur de mort
tant de violence ? Ils étaient quatorze ; personne ne conteste qu’ils aient tous péri pendant l’assaut. Mais quelle est la vraie cause de ce massacre ? Pourquoi Lord Oliver ment-il quand il dit qu’ils s’exerçaient à l’arc dans la forêt ? Cela aurait été absurde, non ? Tout prouve qu’ils cachaient leurs armes et testaient leur adresse dans la lugubre crypte de la chapelle des damnés.
« Quarto : le Sagittaire. Tue-t-il en réponse au massacre de Mordern ? Si c’est le cas, pourquoi ? Existait-il un quinzième membre ou un allié ici, à Mistleham, qui chercherait à venger les victimes de Lord Scrope ? Certes, il est hors de doute que les habitants de la ville ayant été impliqués dans cette tuerie le paieront, mais combien de temps ? Jusqu’à ce que quatorze d’entre eux aient péri ? Le Sagittaire frappe au hasard ; il est pourtant étrange que Chenapan ait été occis de deux flèches et non d’une seule. Pourquoi ? Le fol semble avoir été le protégé des Frères du Libre Esprit, et si Dame Marguerite a raison – et je ne vois pas pourquoi elle mentirait –, il a été témoin du drame de Mordern. Il aurait donc pu nous aider. Les gens de la ville appellent l’assassin le Sagittaire, l’Archer, mais quand le sinistre visiteur du père Thomas a surgi, il a dit se nommer Nightshade. Pourquoi ? À quoi faisait-il allusion ?
— Qui a inventé le nom de Sagittaire ? interrogea Ranulf. Ce doit être un érudit, un homme éduqué, qui connaît le latin.
— C’est exact, c’est exact, murmura Corbett. Puis il y a John Le Riche, ancien archer royal, hors-la-loi, rusé et intelligent. Alors comment expliquer qu’il soit tombé si sottement dans le piège tendu par Maître Claypole ? Les Frères du Libre Esprit lui ont-ils offert un refuge ? Pour quelle raison ? Par charité ? Pour autre chose ? Et après sa capture, qu’est-ce qui justifie ce procès sommaire et son exécution encore plus rapide ? A-t-il bien été pendu ou a-t-il pu en réchapper ? Est-il le Sagittaire ? S’il est vraiment mort, pourquoi a-t-on volé son corps ? Qui pourrait l’avoir fait ? Ensuite il y a ces vers :
Riche, plus riche sera,
Là où, en Galilée,
Dieu a donné un baiser à Marie.
Corbett s’arrêta.
— Quinto : Lord Scrope.
Le clerc reprit son souffle.
— Nous avons tant, tant de questions à lui poser ! Acre, Le Riche, les Frères du Libre Esprit, le Sagittaire, Nightshade, ses fautes secrètes ; Scrope a beaucoup à cacher. On le menace à présent de toutes paris. Et, surtout, pourquoi a-t-il perpétré cette hécatombe ? Que cherchait-il ? Pourquoi avoir laissé les cadavres afin d’effrayer les curieux ? Cela signifie-t-il qu’il n’a pas trouvé ce qu’il voulait ?
— Nous devons l’interroger, Maître.
— Tôt ou tard, répondit le magistrat, mais cela m’étonnerait qu’il dise la vérité. Il savait que nous venions, Ranulf ; il est bien préparé et bien conseillé. Même les meilleurs hommes de loi de l’Échiquier ne parviendraient pas à le réduire...
Un bruit de course dans le couloir, suivi d’un coup retentissant à la porte, interrompit Corbett. Chanson s’empressa d’ouvrir l’huis et le valet faillit tomber dans la pièce.
— Sir Hugh, Lord Corbett, haleta-t-il, Lord Oliver vous prie de venir. Le Sagittaire est revenu à Mistleham...
Le chroniqueur du couvent voisin de St Frideswide ainsi que Walter Bassingbourne, le clerc de l’échevinage, narrent les terrifiants événements qui se produisirent autour de cet affreux incident, le soir du mercredi 13 janvier 1304, au moment où dizainiers et baillis allaient sonner la cloche du marché qui signale la fin des transactions. La journée était belle, bien que le gel eût à peine fondu et qu’un vent glacé n’eût cessé de vous pincer la peau. Une légère brume s’était élevée au déclin du jour et les marchands ordonnaient à leurs apprentis de ranger les denrées dans des tonneaux et des barriques. Les mendiants sortaient de leur trou en quête de reliefs devant les boulangeries, les rôtisseries et les tavernes. Colporteurs, camelots et rétameurs confiaient leurs précieux pennies à des bourses cachées. Des pèlerins en chemin vers l’ermitage de St Cedd, sur la côte de l’Essex, déposaient leurs balluchons dans des écuries après avoir obtenu l’accord du tavernier. On venait de relâcher du pilori un groupe de catins vêtues d’atours
Weitere Kostenlose Bücher