Le porteur de mort
Scrope au pays de Galles. Vous l’avez vu occire des prisonniers gallois et, quand vous êtes arrivé ici, vous avez constaté qu’il vivait dans le faste, qu’il ne se refusait rien, lui, cette brute sanguinaire qui jouait les grands seigneurs. N’y a-t-il pas un psaume évoquant Dieu bandant son arc et visant les méchants ?
— Pourquoi croyez-vous que c’était moi ?
Le clerc fit demi-tour en mesurant ses pas avec soin.
— Oh, un maître archer ne rate jamais son coup, mon père ! À la rigueur une fois, mais deux, voire (rois fois, non ! L’archer d’il y a dix ans désirait effrayer Lord Scrope. La seule personne qui pouvait le vouloir, du moins semble-t-il, c’est vous. Vous avez pris le nom de Sagittaire – l’archer de Dieu. C’est vrai, n’est-ce pas, mon père ? Vous avez ouï ma confession : à présent j’entendrai la vôtre. Mes aveux ont été faits sous le sceau du secret ; il en ira de même pour ce que vous me direz.
— Je le hais ! murmura le curé. Je me sentais coupable, Sir Hugh. J’ai reçu ce bénéfice grâce aux bons offices de Lord Scrope, pourtant je le déteste. Oui, j’étais au pays de Galles. Une bande de rebelles gallois prêts à se rendre, épuisés et affamés, descendait une colline en portant une croix. Scrope dirigeait un corps d’archers à cheval et de fantassins. Je me trouvais là. Il était tard. Il faisait le même temps qu’aujourd’hui, un froid âpre. Ils sont entrés dans le camp, pieds nus et sans armes ; l’un tenait la croix. Avant que quiconque puisse agir, Scrope avait tiré son épée et passait parmi eux, frappant et massacrant. D’autres suivirent son exemple. Ils avaient vu leurs amis, leurs camarades, abattus par les Gallois et ne firent donc nulle merci. Quand je suis parvenu dans cette partie du camp, ils étaient morts. Il s’agissait de seize ou dix-sept jouvenceaux, Corbett, dont certains n’étaient que des enfants. Les corps baignaient dans le sang, Scrope s’appuyait sur son épée, les autres, du sang jusqu’aux coudes, brandissaient des haches, des dagues, des gourdins.
J’ai maudit Lord Scrope. Je l’ai voué aux gémonies. Vous avez combattu au pays de Galles, Corbett : vous savez donc ce qu’il en était. Pas de quartier ; ni d’un côté ni de l’autre. Une lutte à mort.
Le père Thomas reprit son souffle.
— Par la suite, j’ai quitté l’armée du roi. J’ai servi dans des villages, à droite et à gauche. Scrope est un drôle d’homme. Une partie de son âme n’est pas tout à fait corrompue. Il a péché, mais il désirait expier. Quoi qu’il en soit, il s’est souvenu de moi et il m’a proposé de venir ici.
Le prêtre se reprit soudain.
— Les habitants de Mistleham sont des gens honnêtes, respectables, qui craignent Dieu. Oh, il y a bien des individus de la même farine que Claypole et Robert de Scott, mais vous avez rencontré la bande de jouvenceaux qui répétaient une pièce pour la Chandeleur. Il me plaît d’être à leur service. J’ai été nommé juste après que Scrope fut rentré d’Acre. Il était alors plus perdu de vices que jamais. Il avait rapporté un trésor et il devint un riche et important seigneur. Il a épousé Lady Hawisa, une vraie beauté. Je serai franc...
Il sourit.
— Nous, les prêtres, sommes censés respecter le célibat, être chastes en pensées, en paroles et en actions, mais Lady Hawisa...
Il haussa les épaules.
— Il m’arrive de rêver d’elle, de ma belle, belle dame. J’étais furieux contre Scrope ; je n’avais pas oublié ces cadavres. Tout paraissait lui réussir ; rien ne pouvait l’atteindre, preuve vivante que Satan veille sur ses suppôts. J’ai donc décidé de lui faire peur. J’ai pris mon arc et, pendant quelque temps, je l’ai persécuté, tourmenté, terrifié. Mais j’ai compris que j’agissais mal et j’ai cessé. Oui, c’était moi le Sagittaire. J’ai prêché contre ma propre faute. C’est moi qui me servais de ce nom, mais laissez-moi vous dire, Corbett...
Il saisit la main du clerc et la serra.
Je n’ai onc imaginé, pas même dans mes cauchemars, qu’un autre Sagittaire, l’archer de la mort, l’archer de l’Enfer, surgirait !
Corbett entendit la porte s’ouvrir et Ranulf qui l’appelait.
— Je dois vous quitter.
— Que la paix de Dieu soit avec vous, Sir Hugh. Je vous verrai demain matin à la première messe, au manoir. Dame Marguerite et moi devons nous
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