Le porteur de mort
Acre après la chute des remparts. On l’a conduit à l’infirmerie où il est mort de ses blessures. Oliver et Maître Claypole ont fait de leur mieux.
— Mais n’est-il pas étrange, insista Corbett, que seuls deux habitants de Mistleham soient rentrés de Terre sainte ? Lord Scrope et Maître Claypole, son écuyer.
— Sir Hugh, dans certains villages nul n’est revenu. Ils étaient peu nombreux à partir ; certains ont péri pendant le voyage, d’autres sont morts de maladie ou de leurs blessures. Mon frère lui-même – ainsi que Maître Claypole – a été atteint.
— Mais il est revenu riche.
— Oh oui, sans le moindre doute !
Le clerc sursauta en voyant Maître Benedict bondir, la main sur la bouche, et se précipiter vers la porte.
— Le pauvre, compatit l’abbesse en regardant Corbett. Ce qu’il a vu ce matin l’a bouleversé.
Elle attendit quelques minutes que le chapelain revienne en s’essuyant les lèvres à l’aide d’une toaille.
— Je suis navré, s’excusa-t-il. J’ai mal au coeur.
Il reprit sa place.
— Cette conversation, murmura-t-il... Acre, le massacre dans la cour du dragon, les terribles meurtres à Mordern, les intimidations, les menaces...
Il hocha la tête.
— Je ne pensais pas qu’il en irait ainsi.
Dame Marguerite lui proposa de manger ou de boire quelque chose, ce qu’il déclina d’un simple geste.
— Sir Hugh, continua l’abbesse en levant le chapelet enroulé autour de ses doigts, je voudrais vous demander deux faveurs. D’abord, quand vous regagnerez Londres, j’aimerais que vous parliez de Maître Benedict au roi. Il faut qu’il entre à son service : il mérite de l’avancement. C’est un fort bon prêtre, un clerc des plus érudits, mais vous en jugerez par vous-même. Ensuite, il s’agit d’un sujet beaucoup plus important. J’ai dit que mon frère était avide de sang, et c’est ce qu’il est. Pour le moment, il est en danger, à juste titre ou non, mais il n’en reste pas moins qu’il l’est. Il mécontente même le souverain. Le Sagittaire est apparu. À mon avis, cet archer meurtrier cherche à venger les morts de Mordern. Je suis sûre que vous pensez de même ; c’est la seule explication logique. Je crois que tôt ou tard mon frère rencontrera son créateur. Selon les Écritures, ceux qui vivent par le glaive périront par le glaive. J’ai peur pour mon frère, j’ai vraiment peur.
— Madame, répondit Corbett, en quoi cela me concerne-t-il ? Je suis céans pour servir de mon mieux les intérêts de Lord Oliver. Vous citez les Écritures : ce qu’un homme sème, son âme le récolte. Voulez-vous insinuer que votre frère est en danger mortel ?
— Il est constamment en danger. C’est lui le coeur du problème. Notre famille, Sir Hugh, possède cette terre depuis Guillaume le Conquérant. Nous sommes les derniers Scrope. Je suis une vierge consacrée au Seigneur ; mon frère est marié, mais n’a point d’héritier légitime. S’il trépasse soudain sans descendance...
— Son domaine reviendra sans nul doute à sa femme, Lady Hawisa, n’est-ce pas ?
— Je suis fort préoccupée, l’interrompit l’abbesse, comme l’est Maître Benedict avec qui j’ai abordé cette question à maintes reprises. Si mon frère meurt sans enfant, il est vrai que ses biens appartiendront à Lady Hawisa. Je recevrai ma part ; Maître Claypole et d’autres en auront aussi. Mais j’imagine que vous avez ouï les rumeurs. Vous avez dû observer Claypole et Lord Oliver et constater leur ressemblance...
Le magistrat se contenta de la regarder.
Elle reprit son souffle.
— D’aucuns affirment, continua-t-elle, que Maître Henry Claypole est un bâtard, le fils illégitime de mon frère. Il y a bien, bien des années, avant qu’il aille se battre dans les armées royales, il est tombé amoureux d’une certaine Alice de Tuddenham. C’était la fille d’un négociant en laine de la région. Alice fut grosse peu avant d’avoir épousé un marchand du coin et les ragots prétendent...
— ... que Claypole est le fils de Lord Scrope et non celui d’Alice et de son époux ?
— C’est exact, Sir Hugh. Oliver et Maître Claypole ont toujours été proches. Je suis sûre que dans son testament Lord Oliver n’a pas oublié les bons et loyaux services d’Henry Claypole. Cependant je crains bien que si mon frère décède sans héritier légitime, et même si sa fortune devrait revenir à sa
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