Le porteur de mort
étranger qu’il l’était pour vous. Il n’abordait que des sujets mineurs, le manoir, par exemple, ou ce que les cuisiniers préparaient. Il s’intéressait davantage à son cheval ou à ses chiens qu’à moi.
Elle s’interrompit.
— Un détail, pourtant, et c’était plutôt pour lui une source d’agacement. La veille de son trépas, il m’a demandé si j’avais remarqué qu’il manquait quelque chose dans la chapelle. Je répondis que non. De quoi voulait-il parler ? Mais c’était sa façon d’être. Il m’a jeté un regard noir et est parti.
— Quelque chose manquant dans la chapelle, ici, au manoir ?
— Oui, Sir Hugh. Je ne sais toujours pas à quoi il faisait allusion.
— Sir Hugh, intervint Ranulf, je crois que Madame nous a narré tout ce qu’elle peut.
Lady Hawisa adressa un large sourire à Ranulf, qui toussota et tourna la tête. Corbett observa la jeune femme. Il lui arrivait quelquefois au tribunal ou pendant un interrogatoire d’examiner avec soin un élément qui semblait illogique. Si Lord Scrope était un mystère, il en allait de même pour sa femme. Était-ce parce qu’elle avait vécu ses longues années de mariage en nonne, cachée sous un voile pour se protéger d’un mari au coeur dur, ou dissimulait-elle autre chose ? Quoi qu’il en soit, il comprit qu’il l’avait assez interrogée, du moins pour ce jour-là. Il se leva, la remercia, et Lady Hawisa, après avoir salué Ormesby d’un signe de tête et Ranulf d’un sourire radieux, quitta la salle avec dignité. Corbett se rassit et se mit à tambouriner du bout des doigts sur la table.
— Vous êtes dur, maître.
— Ranulf, c’est notre tâche qui est dure. Nous sommes face à la trahison, au meurtre, au vol. N’oublions pas pourquoi nous sommes céans. Lord Scrope, quoi qu’il ait été en tant qu’homme, était un seigneur qui tenait ses terres directement du roi. Il possédait aussi certains biens qui, en droit, appartiennent au trésor royal de Westminster. Et, plus important encore, un criminel rôde à Mistleham. Il a tué à plusieurs reprises et pourrait recommencer. Nous devons résoudre ces mystères. Nous allons interroger Maître Claypole à présent.
Le maire, resplendissant dans ses habits officiels fourrés, la chaîne de son office autour du cou, son médaillon doré scintillant dans la lumière, monta sur l’estrade avec assurance. Il se posta devant le lutrin, un air d’ennui plissant son visage cauteleux. Il posa une main sur l’évangéliaire, leva l’autre et bredouilla le serment. Puis il s’installa sur la chaire en face de celle du magistrat, serrant d’une main le bord de la table, de l’autre son chapeau de castor. Tout en s’essuyant la bouche d’un revers de main, il jeta un regard furieux à Corbett.
— Allez-y, grinça ce dernier, allez-y, Messire le maire, jouez votre rôle ! Faites-nous part de vos objections contre cette action. Faites valoir que vous êtes le maire d’une ville jouissant de ses libertés propres, déclarez que vous contestez votre convocation ici.
Il haussa les épaules.
— Sornettes ! Soit vous répondez en ces lieux soit devant le Banc du roi à Westminster. Je peux vous assurer que les juges principaux, Staunton et Hengham, se montreront peu disposés à écouter vos minables doléances.
Claypole s’éclaircit la gorge et agita la main comme pour dissiper une odeur désagréable.
— Posez vos questions, Sir Hugh. Je suis présent.
— Votre service en Terre sainte ?
— En 1290, commença Claypole comme s’il débitait un poème, nous avons appris dans quel état d’oppression était tombé le royaume chrétien en Terre sainte. Lord Scrope a réuni dans la nef de St Alphege un groupe formé de tous les hommes valides.
— Oui, oui, l’interrompit Corbett. Vous aviez rang d’écuyer de Lord Oliver et êtes parti avec les autres. Eux ne sont jamais revenus ; vous, si.
— Vous savez vous servir d’un arc ? s’enquit Ranulf.
— Bien entendu ! rétorqua Claypole, les joues empourprées. Tout comme nombre d’hommes de Mistleham.
— Pourquoi Scrope a-t-il fait de vous son écuyer ? voulut savoir Ormesby.
Corbett se retint de sourire. Les racontars sur le possible lien de parenté de Claypole intriguaient sans nul doute cet indiscret médecin.
— Pourquoi ne l’aurais-je pas été ?
— C’est juste, persista Ormesby, et souvenez-vous, Messire, que vous avez juré. Vos déclarations
Weitere Kostenlose Bücher