Le Pré-aux-Clercs
yeux noirs, plus étonnés qu’effrayés. Elle ne paraissait pas avoir été maltraitée. Ils arrachèrent l’écharpe, tranchèrent les liens qui la paralysaient.
Elle sauta à terre d’un mouvement souple et gracieux. Elle leur sourit gentiment. Elle paraissait toujours un peu étonnée. Mais ce n’était pas de les voir là car elle expliqua tout de suite, en riant de son joli rire perlé :
« J’ai entendu votre cri de bataille d’ici, monsieur le chevalier, et j’ai pensé que je ne tarderais pas à être délivrée. Mais par quel miracle êtes-vous arrivés si à propos ? Voilà ce que je voudrais bien savoir.
– Expliquez-nous d’abord comment il se fait que nous vous trouvions prisonnière chez vous, ficelée des pieds à la tête et bâillonnée par surcroît. »
À son air de gravité, Fiorinda comprit que ce n’était pas la curiosité seule qui le faisait parler. Instantanément, elle se fit sérieuse elle-même et elle s’empressa de donner complaisamment toutes les explications qu’on lui demanda.
C’était d’ailleurs très simple :
Une vieille femme, qu’au signalement qu’elle en donna, Beaurevers et François reconnurent pour être la même qui était venue crier à l’aide chez le chevalier, avait frappé à sa porte, sollicitant une aumône. Fiorinda s’étant assurée, en regardant par le judas, qu’elle avait réellement affaire à une femme seule et qui paraissait inoffensive, n’avait pas hésité à ouvrir sa porte. Le reste se devine : deux hommes, qui se dissimulaient de chaque côté de la porte, avaient aussitôt sauté sur elle et, en un tournemain, l’avaient bâillonnée et ligotée, ils ne lui avaient pas fait d’autre mal, au surplus, et même ils s’étaient efforcés de la rassurer, disant qu’il ne lui adviendrait rien de fâcheux, que ce n’était pas à elle qu’on en voulait, et qu’on ne tarderait pas à lui rendre sa liberté. Mais en attendant, on l’avait enfermée dans sa chambre.
Lorsqu’elle eut donné ses explications, Fiorinda ajouta, d’un air rêveur :
« L’idée m’est tout de suite venue que c’était à vous qu’on en voulait, monsieur le chevalier. »
À ce moment, François s’écria :
« Et M. de Ferrière ?
– M. de Ferrière ? répéta Fiorinda, interloquée.
Ferrière, expliqua Beaurevers, a dû se présenter ici quand le logis de madame était occupé par ces coupe-jarrets. Vous pensez bien qu’ils n’ont eu garde de lui ouvrir.
– En effet, dit Fiorinda qui réfléchissait, je me souviens avoir entendu frapper à la porte. J’ai pensé que c’était quelqu’un de la bande. Vous dites que c’était M. de Ferrière ? Il sait donc où je demeure ? »
Évitant de répondre, Beaurevers dit, en s’adressant à François :
« Si vous voulez m’en croire, monsieur, nous quitterons cette maison à l’instant même… Peut-être avons-nous trop tardé, déjà. »
Comme pour lui donner raison, au même instant, Trinquemaille pénétra dans la chambre en tempête et lança :
« Alerte, monsieur, alerte ! Les suppôts du prévôt viennent ici. Et ils sont nombreux, vous savez : trois cents au moins.
– Qu’est-ce que cela veut dire ? » s’écria François.
Beaurevers ne posa pas de question, lui.
« Partons », dit-il froidement.
Et, entre les dents, il ajouta :
« S’il en est temps encore. »
Il sortit vivement sur le palier. François et Trinquemaille le suivirent.
Fiorinda demeura un instant seule dans sa chambre. Elle paraissait réfléchir profondément. Et elle était très sérieuse. On eût dit qu’elle débattait des choses très graves dans sa jolie tête.
Brusquement, elle prit une résolution. Elle ouvrit un coffre qui se trouvait au pied de son lit, fouilla un instant dedans et en tira deux bourses qui paraissaient très respectablement garnies. Elle les soupesa un moment et, avec un sourire de satisfaction, les glissa dans son sein, en murmurant :
« On ne peut pas savoir. »
Elle ferma soigneusement le coffre. Elle réfléchissait toujours. Elle porta vivement la main à son sein en disant :
« Mon poignard !… Je l’ai… »
Et elle sortit à son tour. Maintenant, elle paraissait très calme. Et elle se disait :
« Ne précipitons rien… Voyons venir, d’abord. »
Pendant ce temps, Beaurevers était sur le palier et allait à la fenêtre demeurée ouverte. Il se pencha et regarda dans la ruelle. Elle était déserte.
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