Le prince des ténèbres
à la bouche et la ruse au coeur. Si on lui apportait la vérité sur un plateau, il ne la reconnaîtrait même pas !
Le prince revint à la Bible et y posa la main.
— Je jure de vous avoir dit la vérité. Je jure de ne pas avoir envoyé mes hommes à Godstowe, mais j’aimerais savoir qui l’a fait. Portaient-ils mes armoiries ?
Corbett eut un signe de tête dubitatif.
— Je ne pourrais pas l’affirmer.
— Je jure également que j’étais au courant de… la mort de Lady Aliénor…
Corbett eut la certitude qu’il avait été sur le point de dire « le meurtre ».
— … avant lundi matin parce que j’en avais été informé par Monsieur de Craon.
— Monseigneur, avez-vous épousé Lady Aliénor ?
Le prince ne retira pas sa main de la Bible.
— Cela ne vous regarde pas ! répliqua-t-il, agacé. Votre tâche, Corbett, c’est de laver mon nom de tout soupçon. Craon vous attend dans une pièce près de la grand-salle. Je veux que vous l’interrogiez. Il peut y rester jusqu’à ce que vous vous sentiez prêt.
Sur ce, il sortit en coup de vent, piqué au vif, toute courtoisie et bonne humeur envolées. Corbett eut un sourire désabusé et se renversa sur sa chaise, écoutant d’une oreille distraite les pas du jeune homme décroître dans le couloir. Il croyait le prince : c’était sûrement Craon qui lui avait appris la nouvelle le dimanche soir, mais comment le Français avait-il pu être au courant ? Avait-il un espion à Godstowe ?
Qui ? Mais la prieure avait soutenu que Craon s’était vu refuser l’accès de Godstowe. Corbett s’agita, nerveux, avant d’éclater de rire. Bien sûr ! C’était évident !… Il alla sur le seuil appeler un serviteur :
— Menez-moi à l’envoyé du roi de France, Monsieur de Craon. Le prince désire que je lui parle.
Ils longèrent le couloir et s’arrêtèrent à une porte. Le serviteur frappa doucement. Comme elle était entrebâillée, Corbett n’attendit pas que l’homme frappe de nouveau. Il la poussa et entra, l’air sûr de lui. Le seigneur de Craon, assis sur une chaise à haut dossier près de la croisée, tenait un petit rouleau de parchemin sur ses genoux et attendait apparemment que le prince le convoquât pour une entrevue. Il braqua son regard sur Corbett, sourit et fit mine de se lever avant de retomber sur son siège, comme s’il ne voulait pas s’en donner la peine. Le vélin qu’il lisait disparut prestement dans les plis de son volumineux habit.
— Monsieur Corbett ! Je suis enchanté de vous voir ! Veuillez prendre place !
Il désigna un tabouret d’un geste vague.
— Craon, fieffé menteur ! Vous êtes aussi ravi de me rencontrer qu’un manant le collecteur d’impôts !
Bras croisés, le clerc s’approcha de son vieil ennemi et lui adressa un sourire glacial.
— Hugh, s’écria Craon en écartant les mains d’un geste large, pourquoi m’insulter ? Comme vous, j’obéis aux ordres.
Il soupira avec lassitude.
— La diplomatie est parfois un tel sac de noeuds !
— Tout est un sac de noeuds avec vous, Craon !
Se penchant, Corbett s’appuya sur les accoudoirs du siège de son adversaire. Son visage n’était plus qu’à quelques pouces de celui du Français.
— Je le répète : vous êtes un fieffé menteur ! Vous mentez comme un arracheur de dents ! C’est encore un de vos coups fourrés, cette affaire de Godstowe…
Craon écarquilla les yeux, en une belle parodie d’innocence. Corbett remarqua son regard mort, comme s’il y avait deux êtres en lui : l’enveloppe charnelle et, derrière, une présence sournoise et malveillante. Il décida de le mettre à l’épreuve.
— Cette affaire tourne à votre désavantage, n’est-ce pas ?
— Que diable voulez-vous dire ?
Corbett fit volte-face et se dirigea vers le seuil.
— Ce que je veux dire, mon cher Français, c’est que moi, je connais la vérité. Je sais aussi que votre informateur vous l’a cachée. Vous avez payé, Monsieur , pour un tissu de mensonges.
Corbett ouvrit la porte et jeta, désinvolte, par dessus son épaule :
— Et j’ajouterai que c’est un tissu qui vous habille bien !
Puis il sortit rapidement. Resté seul, Craon abandonna son masque de bonne humeur. Ses lèvres bougèrent en silence : il se répétait ce qu’il ferait s’il tenait un jour Corbett à sa merci. Celui-ci, cependant, avait dévalé l’escalier et surgi dans la cour où l’attendaient Ranulf
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