Le prince des ténèbres
Elles nous y ont vues.
Corbett ravala sa déception.
— Et les biens de Lady Aliénor, que sont-ils devenus ?
— Le lendemain de sa mort, répéta Dame Amelia, le prince a envoyé un de ses serviteurs, muni d’ordres stricts : les bijoux et objets de valeur ayant appartenu à Lady Aliénor devaient lui être remis. Le reste…
Elle haussa les épaules.
— J’ai pensé que c’était mesquin, mais le prince m’a ordonné de le brûler. Ce que j’ai fait sur-le-champ. D’autres questions, Messire ?
— Oui.
Corbett lui sourit tristement.
— Dame Amelia, vous avez admis avoir trouvé le corps de Lady Aliénor dans sa chambre et, avec l’aide de ces dames, l’avoir transporté au bas des marches pour faire croire à un accident. C’est exact, non ?
— Je vous ai déjà raconté tout cela ! répondit-elle, l’air excédé.
— Avez-vous relevé des traces de lutte dans sa chambre ?
— Non.
— La porte était-elle ouverte ?
— Oui.
— Mais rien de suspect ?
— Non. J’ai cru au début qu’elle s’était évanouie. Votre interrogatoire est-il terminé ?
Corbett acquiesça.
— Alors, Messire, je vous dis adieu !
Après avoir pris congé des religieuses, Corbett se rendit dans la cour des écuries où Ranulf et Maltote l’attendaient en compagnie des deux soldats. Ceux-ci ne décoléraient pas d’avoir été arrachés à leur vie d’oisiveté, mais ils avaient revêtu casques et broignes et, à leurs baudriers, pendaient épées et poignards. Maltote, lui aussi, semblait surpris devant ses nouvelles fonctions.
— Messire, le faut-il vraiment ?
— Tu es au service du roi, non ?
Maltote opina, l’air lugubre. Corbett désigna l’arbalète qui se balançait au pommeau de sa selle.
— Tu sais t’en servir ?
Maltote le regarda sans comprendre. Corbett s’approcha, intrigué.
— Tu en es capable, je suppose. Tu es sergent dans l’armée du roi !
Il montra une vieille porte hors d’usage, appuyée contre le mur, de l’autre côté de la cour. Quelques poulets déplumés picoraient tout autour.
— Vise bien et touche cette porte ! lui ordonna Corbett. Frappe au centre !
— Messire ! plaida Maltote.
Corbett posa la main sur l’étrier du courrier.
— Tu connais le règlement : tu es sous mes ordres, à présent ! Le roi t’a envoyé ici. Fais ce que je te dis !
Sous l’oeil de tous, Maltote banda l’arbalète et visa la porte. Corbett ne comprit jamais ce qui arriva. Il entendit vrombir le carreau qui, loin de se ficher dans la porte, atteignit un malheureux poulet qui s’écroula en piaillant dans une mare de sang et de plumes. Les deux soldats ricanèrent. Ranulf en resta pantois.
— Seigneur Dieu ! murmura Corbett. Tu es le pire arbalétrier que j’aie jamais vu ! Tu l’as fait exprès ?
Maltote, l’air encore plus ridicule sous son casque conique, prit une mine d’enterrement.
— Maintenant, Messire, vous savez pourquoi je ne suis que courrier. Quand il s’agit d’armes, je suis aussi dangereux pour mes amis que pour mes ennemis.
Un large sourire vint éclairer son visage.
— Mais le roi dit que je suis le meilleur cavalier de son armée. Je peux monter n’importe quelle haridelle et en tirer des merveilles !
Corbett acquiesça d’un geste et prit son lourd baudrier des mains de Ranulf.
— Je m’en souviendrai, Maltote.
— Les poulets aussi ! ajouta caustiquement Ranulf.
CHAPITRE IX
Corbett donna des instructions strictes à ses compagnons. La petite troupe sortit par la porte de Galilée, puis, dans un bruit de tonnerre, parcourut le chemin qui traversait le village silencieux avant d’atteindre la route menant au palais de Woodstock. Corbett hésitait encore sur la façon de procéder. Il voulait se mesurer à Gaveston et savoir, de la bouche même du prince, comment il avait pu apprendre la mort de Lady Aliénor avant l’arrivée du portier de Godstowe.
Les gardes à l’entrée principale les laissèrent passer sans difficultés, mais lorsqu’ils débouchèrent de l’allée bordée d’arbres et arrivèrent devant le palais, un spectacle atroce les attendait. On avait dressé un énorme gibet rudimentaire, deux poteaux soutenant une longue poutre de bonne taille, en bois de frêne. Corbett fit halte et flatta l’encolure de sa monture apeurée. Quatre corps pendaient de la potence improvisée : ceux de trois mastiffs noirs et celui de Gyrth, leur gardien, nuque brisée et
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