Le prince des ténèbres
portez-vous bien ? Et Maeve ?
Ils échangèrent les derniers potins sur leurs amis communs, leurs nouvelles connaissances et les scandales récents. À la fin, Couville posa son gobelet par terre.
— Que désirez-vous au juste, Hugh ?
Corbett sortit de son escarcelle le collier abîmé du chien de compagnie.
— Une devise y est inscrite : Noli me tangere . Je crois qu’il s’agit de celle d’une famille noble. La reconnaissez-vous ?
Couville tapota ses doigts en fronçant les sourcils.
— Cela me dit quelque chose, marmonna-t-il d’une voix songeuse.
Il se leva en se frottant la tête :
— Je l’ai vue quelque part, mais où ?
Corbett passa une heure à attendre que son vieil ami, les bras chargés de liasses et de parchemins, eût fini de passer au crible les registres des blasons et devises. D’abord Couville avait déclaré avec assurance :
— Ce ne sera pas long, Hugh, croyez-moi !
Mais au bout d’une heure, il revint au centre de la pièce en hochant la tête.
— Dites-moi, Hugh, pourquoi cette requête ?
Il leva la main :
— Je suis au courant de vos missions, Messire Corbett. Je sais que vous envoyez des lettres dont aucune copie ne me parvient.
Il se rassit en face de son ancien étudiant.
— Mais pourquoi cette devise est-elle si importante ?
Les yeux clos, Corbett exposa l’affaire du prieuré de Godstowe : la mort de Lady Aliénor Belmont, la perfidie subtile des Français et les manigances de Philippe IV. Il était quasiment arrivé au bout de son récit lorsque, presque en passant, il mentionna la possibilité qu’un sicaire, appartenant à la famille bannie des Montfort, fût présent en Angleterre. Les yeux de Couville étincelèrent.
— J’ai passé en revue les registres de la noblesse actuelle de l’Angleterre et de la Gascogne. Mais qu’arrive-t-il à une famille dont un membre est reconnu coupable de haute trahison ?
— Bien sûr ! s’écria Corbett. Son blason est détruit, ses titres supprimés et ses terres confisquées par la Couronne.
Couville prit un long tube de plomb dont il ouvrit le couvercle. Il en extirpa un épais rouleau de parchemin jauni qu’il étala soigneusement sur la table en faisant signe à Corbett de s’approcher. Ils examinèrent, avec la plus grande attention, le document qui était divisé en deux : d’un côté figuraient des armoiries – Corbett reconnut celles de Percy de Bohun, de Bigod, de Mowbray –, de l’autre des blasons barrés de larges traits noirs.
— Qu’est-ce que c’est ? murmura-t-il.
— Le Parchemin de Kenilworth, répondit Couville. Simon de Montfort se rebella en 1258. Comme vous le savez, Édouard tailla son armée en pièces dans les champs de pommiers d’Evesham en 1264. Montfort fut tué, son corps déchiqueté et jeté aux chiens. Quelques-uns de ses compagnons périrent à ses côtés, un petit nombre s’enfuit à l’étranger et la plupart se réfugièrent au château de Kenilworth dans le Warwickshire. Le château se rendit après un long siège et ce fut la fin de la rébellion de Montfort.
Couville désigna le parchemin :
— Vous voyez, d’un côté, les armoiries de ceux qui prirent parti pour le roi, de l’autre, les blasons barrés de noir des partisans de Montfort. Peut-être allons-nous trouver cette devise parmi eux !
Corbett s’éloigna tandis que l’archiviste passait au crible le Parchemin de Kenilworth en se parlant à mi-voix.
— Ah ! s’exclama-t-il, rayonnant. Noli me tangere était la devise des Deveril.
— Que leur est-il arrivé ?
Couville se remit à marmonner et parcourut la pièce pour vérifier d’autres parchemins et registres au format in-quarto qui contenaient la liste des proclamations et décrets royaux. Il fit signe à Corbett d’approcher de la table.
— Celui qui a combattu aux côtés de Montfort a péri à Evesham.
— Avait-il des héritiers ?
Couville répondit par la négative en montrant le blason des Deveril.
— Le clerc qui l’a dessiné a ajouté une remarque. Regardez !
Corbett plissa les yeux pour déchiffrer l’inscription presque effacée, tracée jadis à l’encre bleu-vert.
— Nulli legitimiti haeredes .
— Aucun héritier légitime, traduisit Couville. Apparemment, c’était le dernier de la lignée.
Déçu, Corbett prit le collier de cuir en hochant la tête.
— Alors, pourquoi cela se trouvait-il au cou d’un petit chien de compagnie, dans la forêt de
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