Le Prince Que Voilà
Vous ne me tabustez plus ! Vous êtes
triste et patient !
— C’est là l’effet de l’exil.
— Moussu, ne voulez-vous pas
savoir qui est cette dame ?
— La connais-je ?
— De fort près, jadis. En
amitié, ce jour.
— Son nom ?
— De son état, elle est
bonnetière-enjoliveuse.
— Mon Alizon ! Ma petite
mouche d’enfer !
— Ha Moussu, vous vous
réveillez !
— Miroul, cours la
quérir !
— Moussu, dit Miroul, observez
que j’y vais sans vous picanier davantage, tant votre chagrin me fait peine.
Et le voyant partir comme carreau
d’arbalète, fort soulagé qu’il ne glosât pas plus outre, je fis signe au bedeau
et lui glissant quelques clicailles, je lui dis que j’avais à entretenir une dame
de nos communes dévotions, et qu’il y faudrait quelque lieu écarté.
— Derrière ce rideau, dit-il,
vous serez fort commodément pour l’élévation de vos âmes. Mon gentilhomme, je
prierai cependant pour vous.
Même lorsque derrière le rempart du
rideau, elle ôta son masque de sa jolie face, j’eusse à peine reconnu mon
Alizon tant elle était splendidement attifurée en un cotillon vert pâle brodé
de fils d’or, et un corps de cotte de même couleur et étoffe, laquelle était du
plus beau brocart.
— Alizon, dis-je tandis que me
jetant les bras au col elle me poutounait à la fureur, tout séparée qu’elle fût
de moi par la largeur de son vertugadin, Alizon ! Ma jolie mouche !
Comment te voilà faite ! On te donnerait de la demoiselle en ces beaux
affiquets !
— Ha Monsieur ! Vous vous
moquez ! Je suis toujours bonnetière-enjoliveuse, quoique maintenant
maîtresse, comme vous savez. Mais ma quête de vous par la ville n’allant pas
sans péril, pour ce que vous êtes de présent si mal famé en raison de ces deux
cent mille écus…
— Menterie, Alizon !
Fallace ! Calomnie déprisable !
— Ha Monsieur ! Que je
suis aise de l’ouïr de votre bonne bouche ! Là, baisez-moi derechef, mon
Pierre ! N’ai-je pas été sans vous voir ces trois mois écoulés ?
— Mais cette vêture,
Alizon !
— Je la viens de terminer pour
une de mes pratiques et ayant même taille et tournure qu’elle, j’ai eu
l’impudence de m’en enrober afin qu’on ne me reconnût point, voulant parler à
votre personne.
— Mais si tu encontres par les
rues cette dame dont tu portes les plumes ?
— Monsieur, elle ne saurait
contre moi s’aigrir, vu que je ne m’en suis parée que pour courre sauver la vie
de son frère.
— Quoi ! dis-je,
Catherine ! Catherine ! Ma sœur Catherine ! Havre de
grâce ! Que je voudrais voir son nez ! Ha ma petite mouche
d’enfer ! criai-je en riant et en la prenant à mon tour dans mes bras et
en couvrant sa face de baisers, quelle jolie chatonie est-ce là !
— Moussu, dit Miroul, en
soulevant le rideau assez pour passer la tête, plaise à vous de ne pas vous
esbouffer tant. Vous troublez la messe. Et le bedeau lui-même sourcille à vos
rieuses dévotions.
— Graisse-le, Miroul !
Alizon m’a guéri de ma malenconie !
— Moussu, je m’en réjouis. Je
n’aimais pas vous voir tant patient avec moi.
— Mon Pierre, dit Alizon quand
le rideau fut retombé, que vous êtes un étrange corps ! Je cours vous
dénoncer une embûche contre votre vie, et vous riez !
— Si tu connaissais tant bien
que moi ma petite sœur Catherine, tu rirais aussi, Alizon ! La dame est
d’une telle incrédible hautesse qu’à te voir en ses cotillons elle se roulerait
de dépit dans la boue ! Alizon, si cette robe est refusée, je la
paierai : elle est à toi.
— Monsieur, la merci à
vous ! Mais le temps presse ! On vous attend pour vous arquebuser de
l’étage de l’Aiguillerie qui fait face à votre logis.
— Mais cette Aiguillerie est
close ce mois passé.
— Raison pour quoi on l’a pu
louer.
— Petite mouche, tu bourdonnes
d’or ! D’où tiens-tu la nouvelle de cet attentement ?
— De deux dames qui en jasaient
à voix sourde ce matin derrière une tapisserie, à laquelle, au bruit de votre
nom, je collai l’oreille.
— Et toi, que faisais-tu de
l’autre côté de cette tapisserie ?
— Je livrais des bonnets.
— Qui sont ces dames ?
— Monsieur, dit Alizon en
redressant d’un air outragé un torse que les ans n’avaient point alourdi, je ne
voudrais dire leurs noms, vu qu’elles sont mes pratiques.
À quoi j’ouvrais le bec pour rire
derechef quand
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