Le Prince Que Voilà
vont nous être ravies ! Muse, fils, muse ! Mais ne
t’écarte point. Nous départons ce jour pour le plat pays.
Il partit, et Quéribus à ma dextre,
Giacomi à ma senestre, et Fogacer derrière moi, lequel était flanqué d’un page
qu’il appelait Silvio (du nom du galapian qu’il avait enlevé en Périgueux une
dizaine d’années plus tôt et qui était mort d’un miserere, le laissant
inconsolable), me pressant de questions sur ma disgrâce, je gardai de leur rien
dire de Mundane, ni de Marianne, ni de la roberie de ma monture, mais seulement
que le Roi me voulait éloigner de Paris en raison des bruits qui couraient sur
les deux cent mille écus que j’avais prétendument remis pour lui à Navarre.
— Ha mon frère ! me dit
Giacomi à l’oreille, encore que je sois au désespoir qu’on vous exile de Paris,
que cet exil vient donc à point pour accommoder mes affaires, si du moins vous
consentez à ce que je vous suive au Chêne Rogneux !
— Quoi, mon frère ?
dis-je, fort mal’engroin, quel sentiment étrange est-ce là ? Mon exil vous
conforte ! Ma disgrâce vous arrange !
— Ha mon Pierre ! dit
Giacomi excessivement rougissant, je me serai mal exprimé ! Sachez,
cependant, que Samarcas, nous croyant encore en nos missions de Guyenne, est
descendu en Paris chez les Montcalm, que j’ai vu ce jour même Larissa en
particulier, qu’elle m’a juré sa foi et aussi de se dérober, dès qu’elle
pourrait, à l’emprise de ce méchant. Cependant Samarcas survenant, par chance
sans me voir, annonça son département sous les quarante-huit heures, ayant eu
vent de votre retour céans. Tant est que s’il apprend que vous quittez ce jour
pour le Chêne Rogneux, il pourrait surseoir à sonner le boute-selle, ce qui me
permettrait, après vous avoir ostensiblement suivi en vos terres, de revenir en
Paris.
— Malheur de l’un, bonheur de
l’autre, dis-je en souriant d’un seul côté de la face. Giacomi, sois heureux
sans scrupule : je partirai ce jour. Si du moins Quéribus, dis-je en me
tournant vers lui, veut bien me prêter sa coche.
— Sa coche, son escorte et
lui-même, dit Quéribus.
— Et moi, dit Fogacer.
— Quoi ? dis-je, Fogacer,
et le service du Roi ?
— Mi fili, encore que le mensonge soit à l’occasion suave, sa douceur entre amis
offusque. J’eusse bien voulu contrefeindre que je te voulais escorter pour ta
sécurité. Mais le baron ? Mais Giacomi ? Où trouver de plus fines
épées ? Et meilleur lanceur de cotel que ton Miroul, que je vois
présentement apparaître à l’huis de la chapelle, les joues toutes gonflées
d’une nouvelle qu’il te va selon son us, petit à petit, distiller. Mi fili, la vérité, la voilà, ni pure, ni simple, comme j’ai dit déjà. Je dois fuir loin
de ma rue, de mon gîte et de mon voisinage, où l’on commence à suspecter que je
n’aime pas le cotillon autant que je devrais.
— Et Henri ? dis-je.
— Henri me croit au chevet de
ma vieille mère, laquelle est morte ces vingt ans passés. Mensonge derechef.
Mais qu’y peux-je ? La conséquente sottardise des hommes me contraint à
sans cesse mentir et partir. Le Juif errant, c’est je.
— Moussu, dit Miroul, son œil
bleu luisant dans la pénombre, peux-je avec vous seul à seul…
Je me levai et le joignis derrière
un pilier.
— Moussu, dit-il, n’est-ce pas
un grand sujet d’étonnement pour le sage combien on apprend de choses à muser
par les rues, pour peu qu’on garde l’œil et l’ouïe grands ouverts !
— Miroul, dis-je, ce prologue
est trop long. Arrivons-en au fait.
— Mais c’est que le fait, dit
Miroul, requiert quelque glose.
— Glose, je te prie.
— Moussu, quand je m’apense que
vous m’avez tant durement tancé ces dix mois écoulés pour avoir musé une heure
en Paris, alors que j’y apprenais le nom du lieutenant de la Prévôté.
— Mes erreurs et mes
repentances font-elles partie de ta glose ?
— Nenni, ma glose est sur la
force de la coïncidence.
— Voyons cela.
— Une dame quitte son logis
pour vous aller attendre au guichet du Louvre et vous porter un avertissement.
Au même moment, pour muser, je sors de la chapelle. D’où il ressort, dit-il,
fort content de son giòco di parole, que si je n’avais point musé, je
n’eusse pas encontré la dame.
— Me voilà fort pénétré de la
force de la coïncidence.
— Moussu, qu’arrive-t-il ?
On vous a changé votre naturel !
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