Le Prince Que Voilà
avec qui j’allai faire
successivement l’aimable et le galant, non certes que j’y eusse appétit, mais
pour donner le change, et pour ainsi dire, noyer my Lady Stafford parmi les
beautés que j’avais tour à tour caressées, comme si seul l’attrait de ses
charmes m’avait conduit à elle.
À méditer sa dernière phrase,
laquelle m’était tombée sur le cœur comme un caillou, je me persuadais que je
devrais rogner quelque peu mon espoir de délivrer Larissa de sa geôle, et alors
que j’avais balancé jusque-là si je devais ou non accointer Giacomi de
l’affaire et l’emmener avec moi à Londres, je décidai de m’en abstenir, ne
voulant pas l’exposer à la plus cruelle déconvenue, si je faillais. Je ne pris
donc avec moi que le seul Miroul, lequel bouillait de vexation à me voir si
secret, mais aussi d’une extrême impatience à passer l’eau et à voir la
renommée cité de Londres où je ne doutais pas que ce grand museur serait à
délices extrêmes de se trantoler.
Non que ledit passage fût aisé. Bien
le rebours. Je n’avais vu de mer en mes vertes années en Montpellier que la
Méditerranée et celle-ci en été, sous son visage le plus riant et le plus
lisse, tant est que celle qui nous divise et sépare de l’Angleterre me parut
excessivement grise, venteuse et tempéteuse par cette journée de novembre quand
nous embarquâmes à Calais à la pique du jour, cinglés par une pluie glaciale,
dans un tohu-vabohu de vagues à vous faire raquer vos tripes, et une brise si
aigre qu’elle nous fendit deux voiles en deux, si bien que nous dûmes, après
une heure de route, regagner le port, dont nous ne saillîmes que le lendemain,
la bise s’étant quelque peu assouagée, mais soufflant par la male heure au
contraire de notre course. On se trouva donc contraint, comme se dit en langage
marin, à « tirer des bords », ce qui fait qu’il ne nous fallut pas
moins de cinq heures pour gagner Douvres – qui pourtant, par route
terrestre, serait si proche et tant plus commode pour les estomacs, lesquels
souffrirent si âprement en ces occasions que Bellièvre, envisageant au
débarquement le piteux état des gentilshommes de sa suite, leurs chevaux fort
éprouvés aussi, et lui-même surpris de se voir jaune comme coing dans le petit
miroir qu’il portait sur soi (étant quasi amoureux de sa majestueuse apparence)
décida un repos de deux jours au port avant de s’engager sur le grand chemin de
Douvres à Londres.
L’épineux L’Aubépine (comme dit le
Roi, lequel était tant raffolé des allitérations qu’il n’en faillait pas une)
me parut moins épineux qu’estéquit et infirme en ses jugements, quand il reçut
Bellièvre et sa suite en le grand salon de l’ambassade, étant de ces Français sottards
qui, en terre étrangère, se paonnent continuellement de la France et de Paris,
déprisant immensément le pays où ils vivent, et parlant mal sa langue, ou du
moins la prononçant mal, comme je vis bien à deux ou trois mots anglais qui lui
échappèrent.
À l’ouïr, nous ne pouvions encontrer
à Londres que déconvenues et déceptions. La ville était fort petite, ne
s’étendant que sur la rive nord de la Tamise et pas la moitié autant grande,
peuplée et variée que Paris, ni les boutiques si riches, ni les repues si
savoureuses, ni le climat si sain, ni les personnes du sexe si belles, ni les
mœurs si accommodantes. Les jeux de paume étaient peu nombreux, les joueurs
médiocres, et les esteufs (sauf ceux importés de France) mal rebondissants. Les
Anglais se divertissaient tristement au jeu de boule, au tir à l’arc, au combat
de coqs et à lancer des chiens contre un ours. Gardez-vous surtout, nous dit
L’Aubépine, de mettre un pied dans le théâtre de Burbage à Shoreditch ou celui
de son fils aux Blackfriars. Outre que les drames qu’on y joue le sont en
anglais, et d’une insufférable puérilité, ces théâtres sont des serres chaudes
où se propagent la peste, la prostitution et la bougrerie, les rollets de
femmes dans ces grotesques tragédies étant assumés par des droles.
— Fuyez comme peste Southwark,
ajouta-t-il, qui est un faubourg de l’autre côté de Londres, où fleurissent les
bordaux et abondent des garces où je ne voudrais pas mettre le bout de ma
canne. Et, pour l’amour du ciel, ne fourrez non plus le nez dans les tavernes
de la Cité, pour ce qu’on vous y cherchera querelle, étant français, et tenus
en grande
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