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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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lesquels buvaient
leurs pichets de vin en fumant leurs pipes de tabac dont la fumée, encore que
d’aucuns médecins en France en vantent les médicinales propriétés, me parut
surtout propre à engendrer la toux et à enflammer l’œil. Il nous fallut
traverser toute la brumeuse salle pour trouver une table, traversée qui ne fut
pas commode, tous les yeux se fichant sur nous d’un air suspicionneux.
    La chambrière fut un fort long temps
avant que de consentir à nous venir servir, et encore que je lui eusse deux
fois déjà dans la matine réclamé pain et vin, elle me demanda ce que je
voulais. Le lui ayant répété, elle me dit qu’il me fallait payer d’avance (ce
que je voyais bien qu’elle n’avait fait pour aucun autre) et comme je lui
tendais un écu, y jetant le coup d’œil le plus bref, elle me le rendit comme
s’il lui brûlait les doigts me disant à voix haute qu’il était français et
qu’elle ne le pouvait accepter.
    Au mot de « français » je
sentis dans la salle comme une commotion, tous les yeux se fichant sur nous en
frémissant comme flèches dans une cible. Je me sentis fort mal à l’aise d’être
l’objet de tant de malveillance et au surplus quasiment en danger de périr de
faim avec trois cents écus en mon escarcelle. Mais m’étant au bout d’un moment
réfléchi qu’une grande cité marchande comme Londres devait avoir des changeurs
et me ramentevant soudain d’en avoir vu un sur le chemin, dont la boutique
était accotée à Saint-Paul, j’y envoyai Miroul avec cinq écus que je tirais de
mon escarcelle, me sentant, dès qu’il eut sailli, au regret de m’être privé de
sa compagnie et de son secours, tant les regards dont j’étais de toutes parts
accablé me paraissaient à chaque minute plus menaçants.
    Il n’y avait en cette assemblée
d’hommes – lesquels me parurent plus proprement vétus que ne l’est la
commune en France – que deux garces, et celles-ci, à toute évidence des
ribaudes, fort pimplochées de rouge et de céruse, le tétin à demi hors,
lesquelles me parurent bien les seules à ne pas m’envisager meurtrièrement. L’une
d’elles, soit qu’elle se trouvât attirée par l’or que j’avais puisé de mon
escarcelle, soit que l’œil que j’avais sur elle jeté, en mon prédicament, ne
fût point inamical, se leva et se dirigea à mon encontre. Attentement où elle
faillit, pour ce qu’elle trouva tout de gob sur sa route, entre les tables, des
jambes roidement tendues, sur lesquelles ayant toqué, elle trébucha deux ou
trois fois, et entendant enfin la raison de ces obstacles, elle fit la moue,
haussa l’épaule et rebroussa chemin.
    Mon Miroul, revenant avec de saines
pécunes anglaises, lesquelles n’étaient ni pesteuses ni catholiques, la
chambrière à nous retourna et me dit sèchement :
    — C’est un penny la pinte de
vin.
    — En voici deux. Et le
pain ?
    — Le pain, dit-elle, est donné
de surcroît.
    Voilà coutume, m’apensai-je qui
n’est pas chicheface et que nos Parisiens devraient bien imiter. Et me mettant
tout de gob à boire et à gloutir, sans laisser goutte ni miette, je ne laissais
pas que d’oublier, ce faisant, la détestation muette dont nous étions l’objet.
Mais celle-ci ne délaya pas longtemps à se faire connaître de nous, car la
fumée s’épaississant dans la taverne, et me faisant toussir, mon voisin le plus
proche se tourna vers moi et me dit avec la politesse la plus provocante :
    — Sir, do you object to my
pipe [52]  ?
    À quoi, m’étant tourné vers lui et
l’ayant envisagé sans sourciller le moindre, je lui dis sur le ton le plus
quiet :
    — Indeed, Sir, I do not [53] .
    Et encore que le silence, après cet
échange, tombât, je ne doutais plus que cette taverne était pour devenir une
sorte d’arène où les ours français se verraient assaillir et mordre par une
meute de dogues anglais.
    — Sir, dit un autre guillaume en se levant, son pichet à la main, plaise à
vous de me pléger : je bois à la santé de Notre Gracieuse Reine.
    — Sir, dis-je en me levant tout de gob, imité par Miroul et me découvrant, je
bois de tout cœur à la santé de Votre Gracieuse Reine.
    À quoi, quelque peu déconcerté, le
guillaume se rassit, se gardant toutefois, à ce que j’observai, de tremper les
lèvres en son pichet. Mais les regards à l’alentour prirent le relais des
paroles, et ceux-là étaient si haineux et si furieux que je m’apensai que

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