Le Prince Que Voilà
murs, pouce par pouce, visités). Et si d’aucunes choses qu’il me dit alors
m’étonnèrent fort peu, pour ce que son monologue n’avait pas manqué de me les
laisser deviner, sa finale recommandation – que, lecteur, tu voudras bien
m’excuser de ne pas répéter ici, pour ce que je voudrais, pour ainsi dire, la
réserver de prime à l’auguste oreille de la Reine – cette recommandation,
dis-je, me frappa de la plus béante stupeur, tant me parut inattendu et
redoutable le secret qui m’était imparti et tant je restais songeard et rêveux
de porter ce terrible poids sur mes fragiles épaules (dont la tête était si
aisée à décoller) dans le très humble rang où la fortune m’avait placé, mais
fort proche, quasi trop proche, à ce que je voyais, des puissants de ce monde.
Ha certes, je n’ignorais pas que les
rois ont fiance plus souvent en de modestes barbiers qu’en leurs nobles
ambassadeurs, et qu’Henri, pour en revenir à lui, avait plus d’une fois usé du
Révérend Docteur Médecin Marc Miron pour porter des messages qu’il n’eût
confiés ni à la Reine-mère, ni au pompeux Pomponne, ni à aucun de ses
ministres. Mais je demeurais toutefois stupéfait, et comme tremblant, d’être
celui qu’il eût choisi entre tous ses sujets (dont il est vrai que bien peu
l’approchaient aussi commodément que moi) pour être l’outil de son projet le
plus caché, lequel Guise, s’il l’eût pu connaître, eût qualifié de monstrueux,
tant il venait au rebours de la politique que l’arrogant vassal avait cru
imposer à son maître, mais que celui-ci ne professait que du bec tout en la
haïssant en son for.
Cependant, quittant mon Roi
bien-aimé, et saillant hors le Louvre, je ne tardai pas à reprendre cœur, me
disant que la guisarde politique se donnant comme propos l’impiteuse extermination
de tous les huguenots – et déjà, d’aucuns des plus zélés ligueux ne
craignaient pas d’écrire qu’on n’en avait pas tué assez lors de la
Saint-Barthélemy –, je servais tout à la fois, et mon Prince, et les
miens, en aidant à contrecarrer ces projets sanguinaires, d’autant que j’ai, et
toujours aurai, en grande et frémissante horreur toute persécution, et professe
comme le Roi lui-même, lequel a plus d’esprit et d’humanité à lui seul que tous
les Guise ensemble, cet irréfragable axiome : fïdes suadenda, non
imperanda [50] .
Dès après la repue de midi, je
courus chez la maréchale de Joyeuse, où après avoir ouï d’une stoïque oreille
ses geignardes jérémiades sur l’excès de puissance, de richesse et de gloire
dont le Roi accablait ses fils (tous y passant : le Duc ! Le
Comte ! Le cardinal !) je vis enfin apparaître le cheveu roux
vénitien de my Lady Stafford, vers qui je tirai par degrés et insensiblement,
l’œil aguignant les alentours pour ce que je m’apensais bien que quelque beau
ligueux devait traîner dans cette presse. Mais celle-ci, par bonheur, se trouva
si grande que je pus enfin, sans être aperçu, ou du moins à ce que je crois,
remarqué, m’entretenir en aparté dans l’encoignure d’une fenêtre avec cette
haute dame, laquelle me dit en anglais d’une voix si basse qu’à peine je
parvins à l’ouïr.
— Vous êtes donc, Monsieur, sur
votre département. Votre message est-il de nature à nous satisfaire ?
— Oui-dà, et au-delà de vos
espoirs…
À quoi je la vis rosir de teint et
frémir de corps, comme si elle eût vu apparaître dans le salon quelque
gentilhomme dont elle fût raffolée, tant les grandes affaires de sa Reine
avaient, se peut, déplacé et remplacé chez elle les amoureux émeuvements.
— Monsieur, dit-elle, vous qui
avez l’œil aux joyaux, voyez-vous cette bague que je porte à l’annulaire de ma
dextre ? La pouvez-vous décrire ?
— Oui-dà. C’est une pierre
d’onyx de forme ovale garnie en son centre d’un rubis cœur-de-pigeon flanqué de
deux petites perles.
— Vous devrez, à Londres, obéir
à la personne, homme ou femme, qui portera ce bijou.
— Je n’y faillirai pas. My
Lady, poursuivis-je, peux-je quant à moi, m’attendre à être autant satisfait
que vous l’êtes ?
— Je l’espère, dit-elle, une
ombre voilant ses beaux yeux pers. Je n’en suis pas assurée. Walsingham est si
dur.
Sur quoi, elle me tendit sa main que
je baisai, déconfit assez en mon for, mais de ma mine fort souriant, comme je
le fus avec cinq ou six belles et nobles dames
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