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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’immense
flotte que Sa Majesté très catholique mettait en chantier pour envahir l’Angleterre.
    À Cornhill où nous fûmes après une
grosse demi-heure, la première chose que je vis fut l’enseigne de la taverne
(qu’assurément je ne donne pas comme un modèle de goût) laquelle figurait un
page grimaçant, boutonneux et quasi belzébuthéen, sous la tiare duquel
s’échappaient deux cornes diaboliques et des cheveux en forme de serpent. Mais
comme l’auberge avait bonne apparence, étant construite en bois et en pierres
de brique, je démontai et jetant ma bride à Miroul, j’y pénétrai, la salle
commune me paraissant fort propre, et à cette heure déserte. L’alberguier,
lequel eût pu passer pour un Français d’oc, tant il était brun de poil et de
peau, quit de moi d’un ton assez abrupt ce que j’avais à faire chez lui, pour
ce que je savais bien qu’il ne servait le pain et le vin qu’à partir de onze
heures.
    — Mon ami, dis-je, nous loger.
Moi-même, mon secrétaire et mes trois chevaux.
    — Sir, dit-il, qui êtes-vous ?
    — Je suis gentilhomme français,
dis-je ayant pris le parti de dire la vérité à un alberguier qui, à ce que je
supposais, devait être lui-même tenu de la dire à la prévôté de sa ville.
    — Papiste ?
    — Mon ami, dis-je avec un
sourire, voudrais-je loger céans, si je l’étais ?
    — Papiste ? répéta
l’alberguier sans me rendre le moindrement mon souris.
    — Non, dis-je, comme gagné par
sa brièveté.
    — Avez-vous la peste ?
    — Non.
    — Nous l’allons voir, dit-il. Sir, entrez céans, poursuivit-il, en me précédant, mais d’assez loin et
sans me toucher du tout, dans une petite pièce où brûlait, Dieu merci, un grand
feu, la matinée étant brumeuse et crachinante.
    Sur quoi, refermant l’huis sur moi,
il me laissa. J’avais la fesse fort lasse de ma longue chevauchée, et sans
m’asseoir, m’allai chauffer la botte à la flamme, ma faim et ma soif croissant
dans la certitude où j’étais maintenant que je n’aurais ni pain ni vin avant
onze heures.
    L’huis, à la parfin, s’ouvrit, et
entra une chambrière jeune et accorte, tant blonde que l’alberguier était brun,
mais en sa manière tout aussi brève, abrupte et froidureuse.
    — Sir, dit-elle en s’accotant à la porte, please, undress [51] .
    — Quoi ? dis-je, devant
vous ?
    — Please, undress ! dit-elle, sans battre un cil.
    Voilà qui me prenait très à rebours
de mon estomac. Mais j’aspirais si fort au dormir et au gloutir que j’y
consentis à la parfin, mi-ébaudi, mi-vergogné d’être traité comme un pesteux et
de me mettre en vêture d’Adam devant une femme, laquelle, d’ailleurs, sans
rougir le moindre, m’examina fort curieusement et de fort près en tous les
coins et recoins, m’ordonnant de me tourner, de me baisser, d’écarter les
jambes, de lever les bras, que sais-je encore. Après quoi, tout autant
taciturne, elle me dit de me rhabiller, et départit, sans doute pour aviser son
maître qu’elle n’avait encontré chez moi ni bubon, ni charbon, car l’alberguier
de présent apparut avec une écritoire et un gros livre, sur lequel il me pria,
à peine plus civilement, d’écrire mon nom, mon état, ma religion, mon logis en
Paris et le propos de ma visite en Angleterre : précautions auxquelles les
entendant bien, je ne trouvais rien à redire, bien le rebours ! Plût au
ciel que nous eussions en Paris un Walsingham et une prévôté tant rigoureuse
que celle-ci ! On y ferait moins de brouilleries au Roi !
    Mon Miroul, ayant de son côtel été
examiné par la même accorte et accoisée mignote, et trouvé comme moi sain et
gaillard, reçut congé d’aller panser nos chevaux à l’écurie. Après quoi, il me
vint joindre, sa chambre étant à la mienne attenante, pour défaire mes bagues à
quoi je donnais la main, et tant lassés et affamés tous deux que nous ne
pipâmes pas mot, sauf pour demander pain et vin à la chambrière, requête qui
fut rebutée roidement par un « à onze heures » aussi sec que le
croûton auquel nous avions appétit.
    Le coup de onze heures sonnant
enfin, j’appelai derechef la blondette chambrière et lui requis de m’apporter
vin et pain, à quoi me rebuffant une deuxième fois, sans même lever l’œil sur
moi, elle me dit par-dessus l’épaule : « Dans la salle
commune ».
    Nous fûmes fort surpris, en y
descendant, de la trouver pleine de guillaumes attablés,

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