Le Prince Que Voilà
plaidé avec force par la dame d’atour et le contre faiblissant de minute
en minute, tant est que ledit baiser me fut enfin baillé, et bien baillé, plus
long, plus appuyé, plus ardent que je n’eusse attendu après ce long délai.
Preuve que sa Ladyship ne faisait pas les choses mesurément, dès lors qu’elle
s’y était décidée.
À peu que le Roi ne me sautât au col
lorsqu’il apprit, le lendemain, la moelle de cet entretien.
— Ah ! mon gentil
Siorac ! s’écria-t-il, c’est la Providence qui te met toujours là où il
faut que tu sois, tant j’étais tracasseux de ce qu’allait dire à ma cousine la
Reine Elizabeth ce pompeux Pomponne qui prend ses instructions davantage de ma
mère que de moi, et qui penche à la Ligue comme le saule pleureur à l’eau d’un
bassin boueux, étant sottard, vantard, bavard et pleurnichard comme cent mille
commères… Ah, mon Siorac ! J’ois d’ici ses pieuses érudites éjaculations à
Londres en faveur de Marie Stuart, laquelle je souffrais assez volontiers du
temps qu’elle était l’épouse de mon pauvre François [49] , mais que j’ai en
particulière horreur depuis qu’elle épousa le meurtrier de son second mari,
après avoir été connivente à cette meurtrerie. Tête folle, au demeurant, qui
osa écrire à Mendoza qu’elle léguait son royaume d’Écosse et ses droits au
royaume d’Angleterre à Philippe II ! Havre de grâce ! Peut-on
imaginer plus abjecte traîtrise ? Et faut-il que le zèle religieux l’ait
aveuglée pour qu’elle acceptât de livrer le vaillant peuple anglais à
l’Inquisiteur espagnol ?
Ici Chicot ouvrit la bouche pour
quelque gausserie de sa façon, mais levant sa belle main pour lui clore le bec,
Henri qui était dans ses humeurs monologuantes, poursuivit :
— Quand tout est dit, Mary
Stuart est une Guise, traître et rebelle à sa Reine, comme Guise l’est à son
Roi. Siorac, pour peu que tu y consentes, je me propose de te dépêcher à Londres
dans la suite du pompeux Pomponne. Tu seras son truchement en langue anglaise.
— Mais, Sire, dit Du Halde,
vous avez commandé à Hébrard de l’être, et il est de présent occupé à faire ses
bagues.
— Il les défera ! dit le
Roi en riant. Pour ce qu’il va tout soudain tomber malade ! Je le
sens ! Je le veux ! Il ne saurait être sain et gaillard plus d’une
heure ! Du Halde, m’as-tu ouï ? Et donne sur ma cassette deux cents
écus à mon gentil Hébrard pour sa bonne curation. Qu’il garde la chambre !
Qu’il ne mette pas le nez hors ! Chicot, essuie la goutte qui te pend au
tien ! Siorac, à Londres, il ne te faudra avoir fiance aucune en mon
ambassadeur. Sais-tu son nom ?
— Sire, n’est-ce pas M.
L’Aubépine de Châteauneuf ?
— Lui-même. C’est un brouillon.
C’est un ligueux. Il se démène comme diable dans bénitier pour Marie. Elizabeth
m’en a fait ses plaintes par le Lord Stafford, lequel j’estime prou et auquel
je me garderai de dire que tu mignonnes son épouse en sa coche, sulphurin
Siorac ! N’est-ce pas émerveillable, poursuivit-il, en changeant tout
soudain de visage et de ton, que je ne puisse même pas exiler l’épineux
L’Aubépine en ses terres sans que la Ligue aboie de toutes ses gueules contre
moi et que Guise devienne menaçant ! Havre de grâce ! Le fourbe me
tient quasiment à la gorge, et m’étrangle à demi !
Quoi disant, le Roi passant de sa
folle gaîté à sa plus colérique disposition, pâlit, sourcilla, son bel œil
jetant des éclairs. Et serrant les poings, il se mit à marcher qui-cy qui-là
dans la chambre, jetant de tous côtés des regards méfiants et suspicionneux.
— Du Halde ! dit-il d’un
ton bref, va porter ces écus à Hébrard et toi Chicot, va moucher ton nez en mon
antichambre !
À quoi, assez piqués l’un et l’autre
d’être bannis du Saint des Saints, mais plus chagrins encore de voir le Roi
retomber en ses noires humeurs, ils se retirèrent.
— Mon fils, dit Henri en me
prenant par le bras, et m’entraînant à le suivre comme je l’avais vu faire avec
le cardinal de Bourbon, mais cette fois sans gausser du tout, ce que j’ai à te
confier n’est destiné qu’à ta seule oreille et à celle de ma cousine, la Reine
Elizabeth.
Ayant dit, le Roi me donna ses
instructions à voix fort basse (comme s’il eût craint que les tapisseries de sa
chambre eussent des oreilles, lesquelles pourtant étaient chaque jour ôtées et
les
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Zehn Mal Fantastische Weihnachten. Zehn Online Lesen
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