Le Prince Que Voilà
aller coucher en sa garde-robe, ce que nous fîmes
sur la coite que j’ai dite, laquelle se trouva quelque peu estéquite pour deux
hommes qui ne l’étaient point, d’autant que nous avions décidé de coucher
habillés, le temps étant froidureux.
N’étant séparé du cabinet neuf que
par une porte, j’ouïs le Roi parler à voix étouffée avec Bellegarde pendant un
long moment. Après quoi, j’ouïs les pas du Roi devant notre autre porte, d’où
je conclus qu’il s’allait coucher chez la Reine [87] . À ce moment
Bellegarde, le bougeoir à la main, entrebâilla ladite porte et dit :
— Du Halde, le Roi vous
commande sur votre salut de ne pas faillir à le réveiller à quatre heures du
matin.
— Ha Monsieur ! dit Du
Halde sur un ton de grande anxiété, plaise à vous de m’éclairer par votre
bougeoir afin que je puisse mettre à l’heure mon réveille-matin.
Bellegarde, entrant alors dans la
garde-robe, se mit complaisamment à genoux pour rapprocher son bougeoir du
réveille-matin que Du Halde avait retiré de dessous sa coite pour le régler.
Étant quant à moi soulevé sur mon coude pour le regarder faire, j’observai que
ses mains tremblaient dans l’énervement où il était de ne le point mettre à
l’heure qu’il fallait, les chiffres étant si petits et la flamme de la bougie
si faible et vacillante. Pas un mot ne fut dit pendant cette scène où ne s’ouït
que le bruit de nos vents et haleines, et aussi, quand et quand, la noise de la
pluie fouettant par paquets les verrières.
— Baron, dit Du Halde, sa voix
fort trémulente en son anxiété, l’ai-je bien réglé ?
— Je le crois, dis-je, mais
comme je tendais la main pour saisir le réveille-matin, et m’en assurer, il
posa sur mon poignet la sienne très vivement, me disant qu’il ne le fallait
branler mie, pour ce que le moindre mouvement le pourrait dérégler.
Bellegarde départi, je tâchai bien
en vain de m’endormir, tant l’épouvante me hantait qu’un infime détail vînt à
la dernière minute se mettre à la traverse des desseins du Roi. Cependant,
m’étant en quelque manière assoupi, je fus réveillé par un bruit si fort et si
ronflant de respiration que je doutai qu’il vînt de Du Halde. Ce doute me
désommeillant tout à plein, je vis en ouvrant les yeux, Du Halde tâcher de
ranimer le feu avec un gros soufflet, d’où venait la vacarme qui m’avait
déquiété. Et lui demandant s’il avait froid, il me répondit que non, mais qu’il
voulait y allumer brindille pour envisager son réveille-matin, la sueur lui
coulant dans le dos tant il craignait de passer l’heure.
— Eh quoi ? dis-je,
n’avez-vous pas fiance en lui ? A-t-il déjà failli ?
— Jamais.
— Faites-lui donc fiance !
— Ha ! dit Du Halde, le
risque est trop immense.
— Quelle heure est-il ?
— Trois heures, dit Du Halde,
après avoir enflammé une brindille et envisagé la face placide de son réveil.
— S’est-il jamais arrêté ?
dis-je en le regardant.
— Nenni. Il est fort neuf. Je
l’ai acheté le jour de l’ouverture des États Généraux à Blois, sachant combien
Blois est ville universellement famée pour l’excellence des montres-horloges et
des réveille-matin qui y sont façonnés.
— Sa sonnerie a-t-elle jamais
failli à sonner à l’heure par vous prescrite ?
— Jamais, dit Du Halde en
rejetant dans le feu la brindille qui menaçait de lui brûler les doigts.
— Eh bien donc, dormez !
— Si ne le peux-je, dit Du
Halde, je redoute trop de passer l’heure et que tout échoue par ma faute.
— Eh bien, veillez !
— Si je veille, dit Du Halde,
je suis tant las que je craindrais à mon insu de m’ensommeiller.
— Ha, Du Halde ! dis-je
avec un petit rire, ne vous tourmentez donc pas tant ! Roulons cette
coite, mettons-la au placard, et veillons de concert, là, sur ces deux
escabelles, étant bien manifeste que le premier qui s’endort, cherra. Une heure
est vite passée.
Du Halde y consentant, on fit comme
j’avais dit, mais l’heure ne passa pas promptement ; bien au rebours, elle
se traîna comme limace sur laitue, si occupés que nous tâchions d’être à faire
flamber le feu haut et clair pour que le Roi pût être à l’aise en se vêtant.
Quand enfin nous y parvînmes, la soudaine lumière éclaira le long et austère
visage de Du Halde et ses deux mains tendues vers le feu, lequel Du Halde,
servant le Roi depuis qu’il était Duc
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