Le Prince Que Voilà
bien de
l’État.
— Ha, Madame ! dit le Roi
avec une suavité de langue et de regard qui me laissa pantois, quel gré infini
je vous sais de votre gentille ambassade et avec quelle joie je me rendrai
cette après-midi chez Madame ma mère et avec quel redoublé bonheur j’y encontrerai
mon cousin M. de Guise, avec qui je ne saurais avoir de différend sans désirer
du bon du cœur qu’il soit incontinent aplani. Je serais infiniment désolé si M.
de Guise pouvait s’apenser que j’ai l’âme tant méchante que de vouloir du mal
au plus ferme soutien de mon trône. Bien au rebours, je jure et je déclare ici
qu’il n’y a personne en mon royaume que j’aime mieux que lui, ni à qui je sois
tenu à plus d’obligations, comme je le ferai apparaître avant qu’il soit peu,
par de très bons effets.
Ceci fut débité sur un ton tant
sincère, spontané et naïf que je fus moi-même, l’espace d’un éclair, dans
quelque doute sur les véritables intentions du Roi, mais quand je le vis,
s’étant levé et ayant présenté la main à M me de Sauves, se saisir de
la sienne et la baiser à son tour, j’entendis bien l’énorme et secrète irrision
qui se cachait derrière la farce que ce grand comédiant jouait là à celle qu’il
avait appelée le matin même « la putain du Guisard », laquelle, après
lui avoir dit en lui baisant le bout des doigts « qu’il n’était Roi que
par droit de succession, tandis qu’elle était Reine de par son inégalable
beauté », il reconduisit par le bras jusqu’à la porte de sa chambre, comme
si elle eût été une Princesse du sang, faveur et honneur dont la Sauves parut
enivrée, tant il est vrai qu’homme et femme perdent tout esprit et clairvoyance
dès que leur vanité est caressée.
Cependant la Sauves, comme eût dit
Chicot, s’étant ensauvée par le viret qui menait à la Reine-mère et qui était
bien gardé, et par Nambu et par les trois hommes de Larchant, le Roi revint à
son cabinet neuf d’un pas rapide, sourcillant et l’air mal’engroin assez, comme
si la comédie qu’il avait dû jouer pour endormir les défiances de la Reine-mère
et du Guise, lui était restée fort au travers de son estomac.
— Mon fils, dit-il d’une voix
brève en s’asseyant derechef, et en m’appelant de l’œil à m’asseoir devant lui, quid novi ?
Le voyant en ces dispositions
inquiètes et tracasseuses, je ne voulus pas faire un conte, et lui dis en trois
mots que j’avais su par mon homme que le tertium quid s’allait ôter de
Blois le vendredi à midi.
— Ha ! dit le Roi qui
pendant une grosse minute demeura plus immobile que roc, l’œil fiché devant
soi, mais cependant sans parpaléger, comme je l’avais vu à l’entrant, ni que
saillît le petit muscle de sa lèvre inférieure, et tout le corps comme
pétrifié, à l’exception de ses mains qu’il avait jointes, comme s’il priait, et
qui était si serrées l’une contre l’autre que je les vis blanchir aux
articulations.
— Il convient donc, dit-il à la
parfin d’une voix basse et ferme, que le Conseil se tienne le vendredi à sept
heures du matin.
Bellegarde, Du Halde et moi nous
nous entrevisageâmes un moment en silence, sans qu’aucun de nous eût envie
d’ajouter mot ni miette, toute parole devenant inutile, puisque le jour et
l’heure avaient été résolus. Cependant, Bellegarde qui, étant si jeune, avait
encore en lui quelque chose d’un enfant, dit :
— Sire, si je vous entends
bien, vous n’irez pas chez la Reine-mère cette après-midi ?
— Ha Bellegarde !
Bellegarde ! dit le Roi en souriant de la moitié du bec, tu n’as pas la
tête politique. À coup sûr j’irai, j’irai plus que jamais ! Depuis
quatorze ans, poursuivit-il à voix très basse, un doigt pointé vers le sol, la
dame et auteur de mes jours brouillonne mes affaires et me veut accommoder au
diable, que le diable soit Alençon ou Guise : la belle et bonne idée que
ladite dame se fait d’une négociation étant de tout livrer, fût-ce la moitié du
royaume ! Fût-ce la connétablie ! Eh bien, tudieu ! livrons
tout ! Nous en verrons demain les effets. Homme mort ne nous fera plus
peine.
Le Roi ne voulut que Bellegarde pour
l’accompagner chez la Reine-mère pour la raison que Bellegarde était si
silencieux et si peu politique qu’il n’avait jamais donné offense à personne et
que nul ne le pouvait soupçonner d’influencer le Roi. Bellegarde me dit plus
tard,
Weitere Kostenlose Bücher