Le Prince Que Voilà
vieil. Tenez-vous bien garde de
vous laisser endommager par lui. Il est grand et puissant. Je serais marri que
vous soyez navrés.
Plaise à toi, lecteur, de laisser
là, immobiles comme sur une image peinte, les quarante-cinq, graves et
cois sur leurs coffres et de passer en imagination l’huis si bien défendu par
M. de Nambu afin que de pénétrer en la salle du Conseil où le Duc de Guise
vient d’entrer, s’y jouant là une sorte de frémissant prologue à la pièce dont
je ne sus moi-même que plus tard par François d’O et le maréchal d’Aumont
comment il se déroula.
À l’instant où le Duc de Guise
pénétra dans la salle du Conseil, la crête haute, salué par tous au plus bas,
magnifique en sa vêture de satin gris clair, son long manteau troussé « à
la bizarre » sur son bras gauche, et son grand chapeau à plumes à la
main, il ne se tenait aucune forme de Conseil, les conseillers étant cantonnés
debout en divers lieux de la salle, ou déambulant par petits groupes d’une
cheminée à l’autre, les deux cheminées se faisant face, mais chauffant
faiblement pour ce que le valet de garde-robe qui les avait allumées à
l’entrant du maréchal d’Aumont, avait omis de les regarnir en bûches.
M. de Lyon et le cardinal de Guise
arrivant à la parfin, lesquels, si le ciel leur avait alors baillé une
miraculeuse ouïe, eussent pu entendre à travers les murs se clore et se
verrouiller derrière eux les portes, poternes et pont-levis du château –
le Conseil ne commença pas pour autant, pour ce qu’on attendait que le
secrétaire d’État Martin Ruzé apportât l’ordre du jour.
Le vieux maréchal d’Aumont qui
m’avait pris en amitié depuis qu’il avait ouï de mon bec comment j’avais robé à
la Boiteuse la damnable lettre du Guise à Philippe II, me dit plus tard
que les groupes cantonnés ou déambulant, s’étaient faits de soi par affinités
politiques : d’un côté les ligueux, le Duc de Guise, le cardinal de Guise
et l’archevêque de Lyon ; d’un autre, les royalistes peu zélés : le
cardinal de Gondi archevêque de Paris, le maréchal de Retz, les secrétaires
d’État Marcel et Pétromol et ce sottard de Montholon ; de l’autre enfin,
les royalistes résolus, ceux-là mêmes que le Roi avait mis dans le secret du
complot : Lui-même, Rambouillet et François d’O. Chaque groupe, me dit
plus tard François d’O, aguignait et épiait les autres, tâchant d’ouïr ce qui
s’y disait. Mais tant chacun craignait d’être entendu, il ne se disait rien que
de très banal comme, par exemple, le cardinal de Guise au Duc :
— Où va le Roi qu’il fait si
mauvais temps ?
— Pensez, dit le Duc, qu’il va
se retirer à part à La Noue pour quelques jours, comme il est accoutumé.
— Mon cher d’O, dis-je en
envisageant avec amitié la physionomie si vive et si spirituelle de François
d’O tandis qu’il me contait ceci, que croyez-vous que Guise avait dans l’esprit
à cet instant ?
— Mais rien ! dit d’O en
levant ses sourcils, lesquels étaient si noirs et si minces qu’on les eût
imaginés dessinés au pinceau. Rien ! Grand corps ! Petite
cervelle ! Bref, un Goliath !
— Un Goliath ! dis-je,
mais le Prince était chattemite, rusé, menteur…
— Assurément ! dit d’O,
mais le mensonge, gros, la ruse lourde et l’hypocrisie transparente. Parce que
le Roi à son retour à Paris ne l’a pas fait occire par d’Ornano, il s’apense
qu’il n’osera jamais. Dieu sait s’il a reçu des mises en garde à Blois !
Il les a toutes décrues. Il n’entend rien au caractère du Roi. Parce qu’il est
bon, il le croit couard. Parce qu’il y a de la femme en lui, il le tient pour
faible. Mais faible et femme ne sont pas synonymes. Le Guise devrait bien le
savoir, lui que la Sauves entortille autour de son petit doigt.
— Mais encore, dis-je, a-t-il
bien fallu que la physionomie du Duc trahisse, ce matin-là, quelque degré
d’appréhension ? Car enfin, il était seul, sans sa suite, dans ce château
qui ne lui était pas ami.
— Point du tout ! Le Duc
montrait partout la naturelle vaillance des hommes qui ne pensent pas. Ce matin-là,
il avait froid et il avait faim. Il avait froid pour ce qu’étant fort coquet,
il avait revêtu un pourpoint de satin gris pâle beaucoup trop mince pour la
saison. Il avait faim, pour ce que s’étant si tardivement désommeillé des jolis
bras de la Sauves, il avait omis de
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