Le Prince
mépris,
son armée conspira contre lui et le massacra.
Si nous venons maintenant aux empereurs qui
montrèrent des qualités bien opposées, c'est-à-dire à Commode,
Septime-Sévère, Antonin-Caracalla et Maximin, nous verrons qu'ils
furent très cruels et d'une insatiable avidité ; que, pour
satisfaire les soldats, ils n'épargnèrent au peuple aucune sorte
d'oppression et d'injure, et qu'ils eurent tous une fin
malheureuse, à l'exception seulement de Sévère, qui, par la
grandeur de son courage et d'autres qualités éminentes, put, en se
conservant l'affection des soldats, et bien qu'il accablât le
peuple d'impôts, régner toujours heureusement ; car cette
grandeur le faisait admirer des uns et des autres, de telle manière
que les peuples demeuraient frappés comme d'étonnement et de
stupeur, et que les soldats étaient respectueux et satisfaits.
Sévère, au surplus, se conduisit très habilement comme prince
nouveau : c'est pourquoi je m'arrêterai un moment à faire voir
comment il sut bien agir en renard et en lion, deux animaux dont,
comme je l'ai dit, un prince doit savoir revêtir les
caractères.
Connaissant la lâcheté de Didius Julianus, qui
venait de se faire proclamer empereur, il persuada aux troupes à la
tête desquelles il se trouvait alors en Pannonie, qu'il était digne
d'elles d'aller à Rome pour venger la mort de Pertinax, que la
garde impériale avait égorgé ; et, sans découvrir les vues
secrètes qu'il avait sur l'empire, il saisit ce prétexte, se hâta
de marcher vers Rome avec son armée, et parut en Italie avant qu'on
eût appris son départ. Arrivé à Rome, il fut proclamé empereur par
le sénat épouvanté, et Julianus fut massacré. Ce premier pas fait,
il lui restait, pour parvenir à être maître de tout l'État, deux
obstacles à vaincre : l'un en Orient, où Niger s'était fait
proclamer empereur par les armées d'Asie qu'il commandait ;
l'autre en Occident, où Albin aspirait également à l'empire. Comme
il voyait trop de danger à se déclarer en même temps contre ces
deux compétiteurs, il se proposa d'attaquer Niger et de tromper
Albin. En conséquence, il écrivit à ce dernier que, nommé empereur
par le sénat, son intention était de partager avec lui la dignité
impériale : il lui envoya donc le titre de César et se le fit
adjoindre comme collègue, par un décret du sénat. Albin se laissa
séduire par ces démonstrations, qu'il crut sincères. Mais lorsque
Sévère eut fait mourir Niger, après l'avoir vaincu et que les
troubles de l'Orient furent apaisés, il revint à Rome et se
plaignit dans le sénat de la conduite d'Albin, l'accusa d'avoir
montré peu de reconnaissance de tous les bienfaits dont il l'avait
comblé, et d'avoir tenté secrètement de l'assassiner ; et il
conclut en disant qu'il ne pouvait éviter de marcher contre lui
pour le punir de son ingratitude. Il alla soudain l'attaquer dans
les Gaules, où il lui ôta l'empire et la vie.
Telle fut la conduite de ce prince. Si l'on en
suit pas à pas toutes les actions, on y verra partout éclater et
l'audace du lion et la finesse du renard ; on le verra craint
et révéré de ses sujets, et chéri même de ses soldats : on ne
sera par conséquent point étonné de ce que, quoique homme nouveau,
il pût se maintenir dans un si vaste empire ; car sa haute
réputation le défendit toujours contre la haine que ses
continuelles exactions auraient pu allumer dans le cœur de ses
peuples.
Antonin-Caracalla, son fils, eut aussi comme
lui d'éminentes qualités qui le faisaient admirer du peuple et
chérir par les soldats. Son habileté dans l'art de la guerre, son
mépris pour une nourriture recherchée et les délices de la
mollesse, lui conciliaient l'affection des troupes ; mais sa
cruauté, sa férocité inouïe, les meurtres nombreux et journaliers
dont il frappa une partie des citoyens de Rome, le massacre général
des habitants d'Alexandrie, le rendirent l'objet de l'exécration
universelle : ceux qui l'entouraient eurent bientôt à trembler
pour eux-mêmes ; et un centurion le tua au milieu de son
armée.
Une observation importante résulte de ce
fait : c'est qu'un prince ne peut éviter la mort lorsqu'un
homme ferme et endurci dans sa vengeance a résolu de le faire
périr ; car quiconque méprise sa vie est maître de celle des
autres. Mais comme ces dangers sont rares, ils sont, par
conséquent, moins à appréhender. Tout ce que le prince peut et doit
faire à
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