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Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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seule consolation était que, de la lucarne, on apercevait au loin le Firth of Forth au-delà des verdures. Il pouvait même deviner l’endroit où le petit navire était à l’ancre dans le fouillis indistinct des mâts.  
    Quelques jours après l’installation, Sir John l’envoya avec Malcolm porter des dossiers au Palais de Justice dans l’ancienne ville. Ils traversèrent un profond ravin sur un pont aux arches audacieuses. De loin, le vieil Edimbourg avait fière allure sur son rocher, avec ses maisons tombant verticalement de huit ou dix étages au flanc de la falaise. Tout en haut, le château fort était un amoncellement vertigineux de remparts entassés les uns sur les autres. Mais dès qu’on entrait dans la ville, de chaque côté de la grand-rue qui suivait la crête, on se trouvait plongé dans un entrelacs de venelles étroites, tortueuses, malpropres et malodorantes.  
    Tout à l’Est, Hazembat découvrit même une sorte de cour des miracles où une foule d’hommes et de femme de toutes conditions semblaient faire sordidement ripaille entre les murs délabrés d’un ancien manoir.  
    — C’est le château d’Holyrood qui était la résidence de nos rois, lui expliqua Malcolm. Il sert maintenant d’asile aux gens menacés d’être mis en prison pour dettes. On n’a pas le droit de les arrêter et même, du samedi minuit au dimanche minuit, ils peuvent se promener librement en ville.  
    La grand-rue elle-même, bordée de hautes façades sales et décrépites, n’avait que quelques toises de large. Elle était encombrée d’une cohue de portefaix, de mendiants, de marchands qui se faufilaient entre les charrettes et les tombereaux, cherchant à éviter les immondices qu’on jetait libéralement par les fenêtres.  
    Hazembat retourna à la ville neuve avec un sentiment de malaise. Le contraste entre les beaux quartiers monumentaux et la saleté grouillante de la vieille ville faisait renaître en lui cette révolte qui l’avait pris aux tripes lorsque, à Bordeaux, il était passé du confort de l’appartement des O’Quin au pullulement misérable du quai des Chartrons. A Langon, c’était dans la ville haute que se dressaient les maisons cossues des bourgeois et dans la ville basse qu’il avait découvert la vie sordide et sombre que menait la plèbe du quartier des Carmes.  
    Bien sûr, il était moins naïf maintenant et il savait que l’égalité n’est pas quelque chose qui peut se prendre au pied de la lettre, mais il n’admettait toujours pas le fossé qui séparait les classes et dont le ravin d’Edimbourg, avec son pont altier, était le symbole. Sir John, qu’il vénérait, était un homme bon et vivait frugalement, mais il y avait une distance infranchissable entre la vie que menaient les habitants des ruelles immondes sur le rocher et celle qu’il menait lui-même, Hazembat, dans la maisonnée du vieux juge. Ce n’était pas, il le sentait bien, seulement une question de richesse ou de pauvreté : parmi les gens qu’il avait rencontrés, il y en avait de moins misérables et beaucoup d’entre eux disposaient probablement de plus d’argent qu’il n’avait rêvé en posséder. Mais ils étaient de l’autre côté du ravin. Il y avait simplement deux sortes d’hommes : ceux qui vivaient dans la crasse et dans la boue et ceux qui vivaient les pieds au sec et la tête au soleil, les uns et les autres parce que c’était leur condition.  
    Qui décidait de cette condition ? Qui assurait à l’un le confort, la sécurité, le pouvoir et vouait l’autre à une existence précaire, asservie, merdeuse ? Il préférait cent fois le sort des gens de mer avec sa discipline impitoyable, ses cruautés, ses privations, ses périls : au moins tout le monde y était égal, de l’amiral au matelot, devant la mort dans la tempête ou la bataille.  
    Presque tous les jours, il descendait à Leith pour prendre soin de la Jenny. Le dimanche, toute la maisonnée se rendait à l’église presbytérienne où un jeune pasteur prêchait avec fougue. Une fois, vers la fin de septembre, il prit pour thème une parole de l’évangile de Matthieu : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. » Avec une vigueur inhabituelle, il stigmatisa la lâcheté impie de ceux qui pactisent avec l’ennemi de Dieu et lui accordent les honneurs de la guerre. Sir John parut de fort méchante humeur.  
    Le déménagement à Edimbourg n’avait pas interrompu les récits du

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