Le Prisonnier de Trafalgar
dimanche après-midi. Cela se passait dans un grand salon lambrissé où était accroché le portrait de Sir James Dalrymple, premier vicomte Stair. De sous sa perruque brune à grandes boucles, il faisait peser sur la salle un regard sourcilleux.
Hazembat en était de ses récits à son deuxième voyage à la Guadeloupe. Il avait considérablement expurgé ses aventures de Baltimore, mais il n’avait pu entièrement escamoter le personnage de Belle à Pointe-à-Pitre. La belle mulâtresse n’avait pas échappé à la perspicacité de Jenny qui posait nombre de questions indiscrètes. Cela procurait à Hazembat un étrange sentiment d’entendre sa curiosité s’exprimer presque dans les mêmes termes que la jalousie de Pouriquète jadis, avec cette différence qu’avec Pouriquète s’y mêlaient les jeux de l’amour. Elle était sa bonne amie et c’était déjà une jeune fille. Elle avait seize ans. Après tout, cela ne faisait que deux de plus que Jenny qui n’était encore qu’une adolescente.
Le dimanche du prêche qui avait indisposé Sir John, ce dernier était en train de lire le Glasgow Herald and Advertiser. Il interpella Hazembat avant qu’il commence son récit.
— Est-ce que tu connais le général Junot, Hazy ?
— Junot, Sir John ? Je crois qu’il commandait les grenadiers au camp de Boulogne.
— Il est monté en grade, mais il vient d’être battu au Portugal par Sir Arthur Wellesley.
C’était pour Hazembat une double surprise : d’abord qu’il y eût la guerre au Portugal, ensuite que les armées de Napoléon eussent subi une défaite sur terre devant les Anglais. II savait vaguement que les Français avaient envahi l’Espagne. La rumeur en circulait déjà à Portsmouth, mais on ne parlait pas d’une intervention anglaise sur le continent.
— Napoléon a été vaincu, Sir John ?
— Pas lui, mais un de ses généraux et c’est une toute petite défaite. Mais il a mis le doigt dans un guêpier en faisant proclamer son frère roi d’Espagne. Et, surtout, il a eu l’imprudence de s’attaquer au Portugal. C’est un pays que nous ne lâcherons jamais. Imagines-tu la Grande-Bretagne privée de porto ?
Hazembat sourit en pensant au Dr Mac Leod.
— Malheureusement, reprit Sir John, les Français s’en sont tirés à bon compte, à trop bon compte. Tu as entendu le prêcheur, ce matin ? C’est à la famille Dalrymple que la diatribe s’adressait et plus particulièrement à ton employeur, Sir Hew.
— Mais pourquoi, Sir John ?
— Parce que, pour des raisons politiques, on l’a improvisé général. Comme gouverneur de Guernesey ou de Gibraltar, Hew est tout à fait dans son rôle : signer des paperasses et faire des courbettes, c’est son fort. Mais, comme général, il ne vaut rien. Junot a été battu à plates coutures et il ne lui restait qu’à se rendre sans condition. Hew a trouvé moyen de signer avec lui à Cintra une convention lui permettant de regagner la France par mer avec armes et bagages, sans parler des honneurs de la guerre.
Il tapa sur le journal du revers de la main.
— Toute la presse est déchaînée contre Hew. La réputation de la famille risque d’en souffrir. Il faut que je trouve une plume capable de répondre à ces attaques. J’ai pensé au jeune James Skene qui est un ami de Walter Scott. Malheureusement, il habite Aberdeen et je ne me sens guère le courage de courir la poste. Dis-moi, Hazy, te crois-tu capable de me conduire à Aberdeen à bord de la Jenny ?
Hazembat avait un peu étudié les cartes qu’il avait trouvées à Bass Rock.
— En temps normal, Sir John, il n’y aurait aucun problème. C’est de la navigation côtière et il y a moins de cent milles. Ce serait l’affaire d’un jour et d’une nuit. Mais nous entrons dans la période des tempêtes d’équinoxe. Depuis deux jours, le baromètre descend. Il serait prudent de retarder le voyage jusqu’à la mi-octobre.
— Non ! non ! c’est maintenant que j’ai besoin d’aller à Aberdeen ! Prépare-toi à appareiller demain matin !
— Mais, Sir John, ne pourriez-vous attendre au moins quelques jours ? Nous risquons d’avoir un coup de chien demain ou après-demain et qui sait où cela nous mènera ? Pour la navigation à vue le long des côtes, je peux me débrouiller, mais je ne suis pas un officier de haute mer et je n’ai que deux matelots !
— Si tu as besoin
Weitere Kostenlose Bücher