Le prix de l'hérésie
était percée de fenêtres ouvragées, mais de là où
j’étais aucune lumière n’était visible. Il n’y avait pas moyen d’emprunter
l’entrée gardée par les deux tours : un manoir de cette taille devait
disposer d’un grand nombre de domestiques, quand bien même le maître
croupissait en prison, et l’avant de la maison était trop exposé. Mon meilleur
espoir consistait à rester à l’orée du bois et à contourner les lieux par
l’arrière, où je trouverais peut-être une poterne ou une entrée de service qui
m’ouvrirait une brèche. Je tâtai du bout du doigt le couteau de Humphrey
attaché à ma ceinture, en me disant que le meilleur moyen d’obtenir des réponses
des domestiques serait probablement d’en faire un usage judicieux.
Plié en deux, je progressais le long des frondaisons, à
l’affût d’un signe d’activité ou d’une lumière qui s’allumerait à l’une des
fenêtres, quand soudain une brindille craqua dans mon dos. Je fis volte-face et
empoignai le couteau. Il n’y avait pas le moindre mouvement dans l’épaisseur
des bois où la brume bleuâtre enveloppait encore les troncs et les
broussailles. Ma respiration s’accéléra, de petits nuages de buée se formaient
devant moi, et je fis plusieurs pas de côté en ne quittant pas des yeux la
direction par où le bruit était venu. Il me semblait plus nécessaire de me
déplacer rapidement que de garder le silence ; je tendais l’oreille pour
distinguer d’autres bruits que ceux que je produisais moi-même en marchant sur
les branches et les feuilles. Tout était silencieux, cependant le sentiment de
n’être pas seul dans ce bois ne me quittait pas.
Au même moment me parvint le bruit aisément identifiable de
sabots s’enfonçant dans le gravier, et je restai immobile dans l’ombre d’un
gros chêne, aux aguets. En contrebas, une petite charrette tirée par un poney
avançait sur le chemin, guidée par un homme assis à l’avant et courbé sur ses
rênes. Je le regardais contourner la maison quand tout à coup un homme surgit
du couvert des bois et dévala le talus pour se ruer sur la charrette,
maintenant sur le point de disparaître à l’angle de la maison. Je les suivis
aussi vite que je le pouvais à travers les arbres, sans plus me soucier de discrétion,
essayant seulement de ne pas les perdre de vue. En arrivant à hauteur de la
charrette, l’homme se jeta sur son conducteur, qu’il prit par surprise et
entraîna à terre. Une lutte s’engagea. Le poney harassé semblait à peine se
rendre compte de ce qui se passait. Je sortis à mon tour du bois et courus vers
eux, en dépit de mes jambes qui protestaient contre cet effort. Je vis alors
l’homme à la capuche étouffer d’une main les cris de son adversaire, se
redresser sur un coude et brandir un couteau.
J’arrivai juste à temps pour retenir son bras et l’empêcher
d’abattre son arme. Avec un cri de rage, l’homme se tourna vers moi et je
reconnus avec stupeur Thomas Allen.
« Vous ! s’exclama-t-il. Mais… »
Le conducteur de la charrette essayait d’échapper à la mêlée.
Âgé d’environ cinquante ans, le visage replet, l’air hagard, il secouait la
tête et gémissait en m’implorant du regard.
« Qui est-ce ? demandai-je à Thomas Allen à voix
basse. Pourquoi lui tombez-vous dessus avec un couteau ? »
Ses yeux lançaient des éclairs. En baissant les yeux, je
m’aperçus que je lui tenais toujours fermement le poignet et qu’en réalité ce
n’était pas un couteau, mais un rasoir ouvert.
« Il vient pour Sophia ! lança rageusement Thomas.
Il est chargé de l’aider à s’évader. Mais il ne faut pas qu’elle parte avec
lui, c’est un piège.
— Alors elle est ici ? »
Je regardai tour à tour Thomas et l’homme, à la fois soulagé
et anxieux, car, si mon intuition était juste, le danger restait le même.
L’homme hocha la tête avec une terreur manifeste.
« Attendez… Je le connais, dit soudain Thomas en
scrutant l’homme avec attention. Il sert les Napper. Nous ne pouvons pas le
laisser partir, il donnerait l’alarme. »
L’homme voulut protester mais ne réussit qu’à bafouiller en
secouant la tête en tous sens. Je pris le vieux couteau de cuisine de Humphrey
Pritchard à ma ceinture et fis tourner la lame devant ses yeux.
« Nous n’avons plus besoin de vos services. Rentrez
chez vous et dites que des coquins vous ont attaqué. Maintenant ! »
ajoutai-je en lui
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