Le prix de l'hérésie
trot dans une courbe, des haies cachant la route à
quelques mètres, mon cheval faillit entrer dans un troupeau de moutons qu’un
vieil homme, une houlette déformée à la main, guidait en direction d’Oxford.
« Pourriez-vous me dire comment trouver le manoir de
Hazeley Court ? lui demandai-je. Et si je suis sur la bonne route, pour
commencer ? »
Le berger leva les yeux d’un air soupçonneux.
« Quoi que vous dites ? »
Je pris une profonde inspiration et répétai ma question en
m’appliquant pour prononcer de mon mieux l’accent anglais. Il pointa le doigt
dans la direction d’où il arrivait.
« Continuez par là. Vous verrez bientôt deux grands
chênes sur vot’ gauche, et entre eux un sentier. Suivez-le jusqu’au manoir.
C’est quoi donc que vous allez y faire ? demanda-t-il en me dévisageant
avec curiosité.
— Affaires officielles, éludai-je puisque sa réponse me
suffisait amplement.
— Y a qu’des papistes là-bas », marmonna-t-il
tandis que mon cheval se frayait un chemin au milieu des moutons.
Je le remerciai pour son avertissement et, dès que nous
eûmes traversé le troupeau, j’éperonnai ma monture. Mon dos et mes jambes me
faisaient un mal terrible et les rênes frottaient sur mes brûlures, mais la
proximité du manoir me galvanisait. Peut-être allais-je y trouver les réponses
que je cherchais.
CHAPITRE 19
Le sentier descendait en pente douce et s’élargissait plus
bas en un chemin pour attelages à l’approche de la façade d’une grande demeure.
Du sommet de la colline, à travers le léger brouillard qui flottait entre les
arbres, je vis de hautes cheminées, des tourelles et des crénelages de brique
rouge baignant dans la lumière grise du petit matin. Le manoir était entouré de
bois sur trois côtés et une butte escarpée et plantée d’épais bosquets
s’élevait à l’arrière. En me mettant à couvert des arbres, il serait possible
d’approcher très près de la maison, mais y entrer serait une autre histoire.
Car désormais je ne pouvais qu’aller de l’avant. Contre son avis, je forçai le
cheval à quitter le sentier et à s’enfoncer dans les bois. Je mis pied à terre
dans une clairière et attachai ses rênes à une branche basse pour qu’au moins
il puisse incliner la tête et brouter à son aise. Après lui avoir asséné
quelques claques sonores, je lui certifiai que je reviendrais bientôt et
m’éloignai discrètement vers le bas de la colline de Hazeley Court.
À la lisière du bois, juste devant les grandes étendues de
pelouse, je m’accroupis dans la pénombre pour observer le manoir. Le brouillard
était moins épais par là et, grâce au jour naissant, j’avais une bonne vue sur
le bâtiment. À l’évidence, il avait été construit dans l’intention de résister
à des assauts, même si ses fortifications paraissaient moins faites pour en
interdire l’accès que pour ajouter à son élégance. Il était bâti en carré,
autour d’une cour centrale, et son entrée était surplombée par deux tours
octogonales somptueuses au sommet crénelé, d’au moins trente mètres de haut,
soit deux fois la hauteur de l’enceinte. Tous ces splendides éléments défensifs
n’avaient pas empêché son propriétaire de finir en prison, me dis-je. Si la
Couronne était à court de revenus, la saisie des demeures et des terres des
catholiques réfractaires aux édits religieux offrait une source de profits
faciles. Des prêtres missionnaires devraient-ils être découverts à l’intérieur
de ces murs, tout le domaine serait confisqué et attribué au favori que la
reine jugerait le plus méritant ce jour-là : sous couvert de défendre la
foi, des fortunes pouvaient se perdre et être distribuées à ceux dont il
fallait acheter la loyauté. Frissonnant, je serrai ma cape contre moi. Je
risquais ma vie, je le savais, et à qui cela profiterait-il si j’avais
raison ? Moi ? Walsingham ? Quelque autre courtisan dont
l’avancement dépendait de la chute des gens habitant cette superbe
demeure ? Pourtant, j’étais maintenant convaincu que Sophia se trouvait là
et que les personnes en qui elle plaçait sa confiance étaient en fait celles
qui lui voulaient le plus de mal.
Un vent frais se levait et je me rendis compte que mes
jambes tremblaient encore d’avoir monté à cru. Je me relevai, étirai mes
membres endoloris et repris ma position accroupie près de l’épais tronc d’un
vieux chêne. La façade
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