Le prix de l'hérésie
puis me
hissai sur son dos. Elle me réserva une petite danse d’accueil et souffla
puissamment par les naseaux en guise de protestation, mais je tins fermement
les rênes et elle se calma. Le garçon m’ouvrit le portail et, éperonnant ma
monture, je tournai à gauche en sortant, dans la direction opposée à Lincoln
College.
De l’autre côté, Cheney Lane débouchait sur North Street, et
la lumière pâle qui gagnait peu à peu l’horizon me guida vers l’est. J’y voyais
assez bien désormais pour distinguer les étals couverts de Cornmarket Street
devant moi et je lançai le cheval au trot, bien qu’il rechignât à accélérer sur
ce terrain fangeux et glissant. Au croisement de Carfax, je bifurquai dans High
Street et aperçus bientôt la porte est de la ville, par où nous étions entrés
en si grande pompe cinq jours plus tôt, avec sa petite barbacane gardant la
route de Londres. Une lanterne dispensait sa lumière mouvante dans la tour qui
s’élevait depuis les remparts. Je savais que tout dépendait désormais du
gardien. Il fallait que je passe sans tarder. Slythurst avait déjà réveillé les
domestiques du collège à l’heure qu’il était, et ceux qui me poursuivaient ne
pouvaient être loin derrière.
À mon arrivée, un homme portant la livrée des gardes de la
ville sortit de la loge, une lance à la main.
« Qui va là ? » lança-t-il en pointant son
arme vers moi.
Effrayé, le cheval hennit.
« Un messager de la reine, déclarai-je. Je porte une
missive urgente de la part de Sir Philip Sidney.
— Un shilling pour passer, avant l’aurore.
— Je n’ai pas d’argent. Mes ordres sont de porter le
message au Conseil privé à Londres sans délai. »
Je me redressai et adoptai une allure martiale qui, je
l’espérais, le distrairait de mon apparence.
« Et si le message n’arrive pas, en représailles le
comte de Leicester vous fera pendra par les parties à cette porte, je peux vous
le jurer. »
Je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule, des bruits
nous arrivaient de plus haut dans High Street. Le garde hésita un instant, puis
il entreprit laborieusement de tirer le verrou et d’ouvrir l’épaisse porte en
bois tandis que je maintenais le cheval en serrant les rênes ; il sentait
mon impatience, ma tension, et piaffait lui aussi.
Au moment où je franchissais la porte, j’entendis crier
derrière moi.
« Halte ! Arrêtez ce cavalier ! »
J’enfonçai mes talons dans les flancs du cheval et le lançai
au galop. Le sol était toujours boueux mais au moins la route était large car
c’était la voie principale menant à Londres. Les ténèbres se dissipaient peu à
peu, les étoiles pâlissant à mesure que la clarté de l’aube ceignait l’horizon
vers lequel je filais à toute allure. Le vent me cinglait les yeux et le nez,
et il agitait la crinière du cheval qui galopait sans renâcler au milieu des
ornières. Penché sur le cou de ma monture, je me cramponnais afin de ne pas
tomber du fait de l’absence de selle, et lançais de temps à autre des regards
derrière moi, inquiet de voir si on me suivait. C’était une bête véloce et elle
eut bientôt couvert assez de distance pour rendre extrêmement difficile de nous
rattraper. Maintenant que je pouvais enfin respirer, les doutes m’assaillaient
quant au bien-fondé de mon plan. En parlant avec Humphrey, il m’avait paru
évident que je trouverais les éléments manquants de l’énigme à Hazeley Court.
Pourtant, maintenant que j’étais sorti de la ville sans avoir la moindre idée
de la façon dont je trouverais cet endroit, je me demandais si mon action qui
reposait sur une simple intuition ne me mènerait pas à une impasse tandis que
le drame se jouerait ailleurs, sur une tout autre scène.
Je chevauchai ainsi peut-être une demi-heure. Le ciel
s’illuminait progressivement et le chant des oiseaux se faisait de plus en plus
insistant. Une brume humide s’élevait des champs et des frondaisons, couvrant
d’un linceul le paysage alentour. L’odeur de la terre détrempée m’emplissait
les narines. Je ne voyais pas trace du moindre village et commençais à craindre
d’avoir commis une terrible erreur : non seulement je risquais de ne pas
trouver à temps Thomas et Sophia, mais je ne pouvais plus faire marche arrière.
Si Jenkes ou Slythurst me traquaient et qu’ils me tombaient dessus sur cette
route déserte, il n’y aurait personne pour me venir en aide.
Lancé au
Weitere Kostenlose Bücher