Le prix de l'hérésie
renforts. Cobbett entrouvrit la petite porte et je lui passai le
paquet emmailloté dans le linge de Norris, qui disparut aussitôt à l’intérieur
de l’ample manteau usé du vieil homme.
« Maître Godwyn est-il rentré ? » lui
demandai-je en franchissant le seuil.
Il réfléchit un instant.
« Personne n’est sorti c’soir, à part vous. Le portail
est resté fermé tout le temps.
— Alors il a dû sortir par une autre issue. Le jardin,
peut-être. »
Godwyn devait donc lui aussi être au large, et j’avais une
assez bonne idée de l’endroit où je le trouverais.
Cobbett me poussa dans la ruelle et je l’entendis tourner la
serrure derrière moi.
Je courais à m’en faire hurler les poumons dans Cheney Lane,
une petite rue longeant Jesus College, pratiquement à l’opposé, osant à peine
regarder derrière moi. Par chance, il y avait peu de bâtiments et même dans
l’obscurité je n’eus aucun mal à trouver les écuries grâce aux odeurs et aux
bruits que faisaient les chevaux dans leur sommeil. Je tambourinai furieusement
contre la porte. Je craignais à tout moment que Slythurst n’arrive d’un côté
avec un groupe d’hommes de Lincoln College et ne m’appréhende pour vol, et de
l’autre je m’attendais toujours que Jenkes ou l’un de ses comparses me tombent
dessus pour me tuer. Au bout de quelques instants, un palefrenier apeuré ouvrit
la porte, les cheveux en bataille, les yeux rougis par le sommeil, une bougie à
la main.
« Messire ? » marmonna-t-il.
Je le poussai de côté et entrai dans l’écurie d’un pas
assuré.
« Mon garçon, j’ai besoin de mon cheval. Tout de suite.
Celui qui est arrivé vendredi dernier, le gris. Je suis le docteur Bruno,
j’accompagne l’invité du roi. »
Le garçon me regarda avec des yeux ronds en se mordant la
lèvre.
« Je ne suis pas censé laisser quelqu’un prendre les
chevaux en l’absence de maître Clayton, messire. Et c’est un très beau cheval.
— Merci. Il vient des écuries de la reine elle-même. Je
vous promets que je ne cherche pas à le voler. Maintenant, amenez-le,
voulez-vous ?
— Je vais me faire battre, messire », geignit-il.
Je ne pouvais pas le blâmer pour sa prudence. Outre l’heure
inhabituelle de mon arrivée, je n’aurais pu ressembler moins à un visiteur
royal avec mon visage tuméfié et l’entaille à ma gorge. Je n’avais pas envie
d’y recourir, mais une fois de plus je dégainai le couteau. Le pauvre enfant
jeta des regards affolés alentour, espérant l’arrivée inopinée d’un quelconque
secours.
« S’il vous plaît », ajoutai-je doucement, même si
cela ne risquait guère de rendre la situation plus plaisante.
Le garçon hésita encore un moment, puis sembla décider que
la perspective de se faire battre était moins risquée.
« Il va me falloir quelques minutes pour le seller.
— Alors ne le sellez pas. Un harnais seulement. Mais
dépêchez-vous, je vous en prie. Je n’ai pas un instant à perdre. »
Croyant avoir entendu du bruit dehors, je me tournai vers la
porte, mais ce n’était que les chevaux qui bougeaient dans les stalles.
Cependant, j’avais communiqué ma peur au garçon : il hocha la tête en
silence et se dépêcha d’aller passer les rênes à mon cheval. Quant à moi, je me
dandinais d’une jambe sur l’autre en surveillant le portail, sans plus me
soucier de ma douleur à la main, aux épaules, à la gorge, et maintenant au dos
et à la tête depuis ma lutte avec Slythurst. Rien d’autre ne comptait que de ne
pas me faire prendre. J’espérais que je ne m’étais pas trompé en me fiant à
Cobbett, mais je savais qu’il avait raison. Même si je m’étais rendu moi-même à
Christ Church, je n’aurais pas pu voir Sidney à cette heure de la nuit et
j’aurais été obligé de laisser mon précieux paquet au gardien. Pendant ce
temps, Slythurst aurait eu le temps de prévenir le constable et les gardes
qu’un voleur s’était échappé de Lincoln College et il m’aurait été impossible
de sortir de la ville. Je priai pour que Slythurst n’intercepte pas les papiers
et que le messager de Cobbett mène à bien sa mission.
Le garçon réapparut, guidant anxieusement mon cheval par son
somptueux harnais de velours. Le harnachement cliquetait bruyamment dans le
calme ambiant. La bête avait l’air endormie et irritée d’être réveillée en
pleine nuit. Je l’emmenai près d’un montoir au milieu de la cour,
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