Le prix de l'hérésie
tranchait la gorge avec son rasoir dans un déchaînement de violence
inouï. Je bondis derrière Thomas afin de l’attraper par le cou, mais il avait
une force ahurissante pour un garçon aussi frêle et la hargne semblait encore
la décupler. Il se débattait comme un diable, j’étais incapable de le contenir.
Les plaintes de Barton étaient couvertes par les hurlements de Sophia. Le sang
coulait à flots de sa gorge béante et il s’agrippa un instant à la cape de son
meurtrier avant de s’écrouler sur le sol où il expira.
Je lâchai Thomas et me retournai. Je m’attendais à voir une
Sophia hystérique après la scène à laquelle elle venait d’assister, mais Jerome
avait profité de l’intermède pour la prendre par la taille et il la tenait
serrée contre lui, le couteau pointé sur la douce peau blanche de son cou.
« Pose le rasoir, Thomas », dit-il avec la lenteur
et le calme d’un maître d’école s’adressant à une classe pleine de garnements
indisciplinés.
Le visage, les bras, les mains couverts du sang du
domestique, Thomas le fixa sans rien dire. Puis il fit un pas en avant et
Jerome rapprocha la lame de la gorge de Sophia, qui se retint de crier et ferma
les yeux, la tête agitée de soubresauts.
« Lâchez-la, dis-je, en essayant à mon tour de faire
preuve d’autorité.
— La lâcher ? Et que comptez-vous faire sinon,
Bruno ? »
Sans baisser le couteau d’un pouce, il me considéra avec le dédain
qu’on réserve à une distraction dont on se lasse.
« Avez-vous amené des renforts ?
— Personne ne sait que je suis ici. »
En fait, je l’ignorais. Si le messager de Cobbett avait
réussi à porter le paquet de lettres à Sidney, celui-ci avait-il eu la présence
d’esprit de rassembler des hommes afin de venir me chercher à Hazeley
Court ? Et si c’était le cas, combien de temps leur faudrait-il pour
arriver ? Mais les chances pour que Slythurst ne se soit pas interposé
étaient minces.
Comme s’il lisait dans mes pensées, Jerome s’agita d’un air
impatient.
« Peu importe. De toute façon, ils arriveront trop
tard. Une dernière fois, déposez vos armes à terre ou tout ce que vous avez
fait n’aura servi à rien. »
Il leva le coude pour rendre sa menace plus explicite.
Thomas me jeta un coup d’œil, puis lâcha son rasoir, qui rebondit en tintant
avant de s’immobiliser. Je regardai Sophia : elle avait rouvert les yeux
et me dévisageait maintenant avec un mélange de désespoir, de peur et
d’ahurissement, et je finis par déposer mon arme moi aussi.
Jerome hocha la tête.
« Bien. Maintenant, si vous voulez qu’il n’arrive rien
de mal à personne, vous ne bougez pas, vous restez tranquilles. »
Il attira Sophia, toujours sous la menace de son couteau,
vers la porte menant à l’escalier de la tour ouest. Puis, la faisant avancer
sans ménagement, il claqua la porte derrière lui. Thomas poussa un cri de rage
et courut à leur suite.
« Tu ne gagneras pas ! » vociféra-t-il.
À ma grande surprise, au lieu de redescendre, Jerome faisait
monter l’escalier en colimaçon à Sophia. Alors que Thomas allait les rattraper,
il donna un grand coup de pied en arrière et l’atteignit à la mâchoire. Le
jeune homme chuta sur moi, la bouche en sang.
Sans se démonter, il repartit de l’avant et se précipita dans
l’escalier en essayant d’attraper les chevilles de Jerome. Après avoir ramassé
mon couteau, je m’élançai derrière eux. Au-dessus de nous, Sophia poussa un
hurlement qui se répercuta contre les murs de pierre et j’agrippai Thomas par
le bras.
« Il pointe toujours un couteau sur elle, lui
rappelai-je. Pour l’amour de Dieu, n’agissez pas à la va-vite. »
L’ascension était épuisante. À un moment, j’entendis Sophia
crier « Je ne peux plus » et Jerome lui répondre « Faites-moi
confiance », leurs voix déformées par l’écho. Mes jambes courbaturées se
mirent à trembler, nous montions toujours plus haut en dépassant à intervalles
réguliers de petites fenêtres en forme de croix qui donnaient sur le parc et la
forêt autour du manoir. Jerome et Sophia grimpèrent ainsi longtemps, et nous
aussi sur leurs talons, jusqu’à ce que je sente soudain un courant d’air glacé
sur mon visage. Je compris alors qu’il nous emmenait sur les remparts en haut
de la tour. L’estomac noué, je tentai d’imaginer ce qu’il avait à l’esprit, incertain
même de sortir de là en
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