Le prix de l'hérésie
me glaça les sangs.
« Après tout ce que mon père avait enduré à cause de
lui, il le méritait bien. »
Un lourd silence suivit la révélation soudaine de la vérité.
Sophia, Jerome et moi ne pouvions détacher nos regards médusés de Thomas.
« Et tous les membres du collège étant sous étroite
surveillance, reprit Jerome, j’avais peur que ma couverture ne soit compromise.
Ce qui était ton intention depuis le départ, n’est-ce pas ? »
Les deux hommes immobiles échangèrent un long regard.
J’avais les nerfs plus tendus que la corde d’un arc ;
je n’aurais su dire ce qui était le plus dérangeant chez Thomas : ses
accès de frénésie ou ce calme étrange que je ne lui connaissais pas, celui d’un
chat prêt à bondir.
« Alors vous êtes allé dans la chambre de Mercer pour
mettre la main sur ces lettres avant que Thomas ne le fasse ? »
demandai-je à Jerome.
Il eut un bref mouvement d’agacement.
« Je ne savais pas que Thomas connaissait leur
existence. Après que Mercer eut menacé de me dénoncer, j’ai réalisé que je
serais toujours vulnérable tant que la correspondance d’Edmund Allen avec Reims
à propos de ma mission et la bulle pontificale Regnans in Excelsis seraient en circulation. Mais j’ai à peine eu le temps de fouiller la chambre
car je vous ai vu par la fenêtre traverser la cour. Je me suis caché en haut de
la tour avant que vous n’entriez. C’est alors que j’ai compris la véritable
raison de votre présence au collège.
— Elle n’a pas d’autre raison que la disputation,
affirmai-je, le cœur cognant dans ma poitrine. Et je ne cherchais qu’à
découvrir comment un homme avait pu connaître une mort aussi horrible, ce qui
semblait n’intéresser personne. J’espérais découvrir un indice expliquant qui
il pensait retrouver dans le jardin et pourquoi il avait une bourse sur
lui. »
Jerome baissa les yeux, la culpabilité envahissant son
visage pour la première fois.
« Thomas m’a seulement demandé d’attirer Mercer au
jardin ce matin-là. Je lui ai dit qu’étant donné les circonstances je jugeais
préférable de rentrer en France, et nous avons convenu de nous retrouver pour
qu’il me remette une partie de l’argent qu’on lui avait confié afin de me
permettre de faire face aux dépenses du retour.
— Et Coverdale, alors ? Avait-il lui aussi
découvert la vérité à propos de Sophia ?
— Vous feriez mieux de demander à Thomas pour
Coverdale, dit Jerome d’un air sombre.
— Ce serpent… murmura Thomas d’une voix qui me fit
tressaillir. Coverdale insistait auprès du recteur pour qu’on me renvoie du
collège. Il avait peur parce que j’en savais trop et que je risquais de me
venger en les trahissant. Le recteur a au moins fait preuve de compassion et
m’a laissé rester, mais c’est la faute de Coverdale si j’ai perdu ma bourse et
si j’ai dépendu de sa charité, dit-il en désignant Jerome. Disons que
Coverdale a appris ce qu’est la vengeance… C’était un pleutre, il a crié comme
une petite fille quand je lui ai montré le rasoir. Sa vessie l’a lâché.
— Donc vous avez décidé d’en faire un martyr lui aussi,
parce que vous le méprisiez ? »
Thomas eut un sourire espiègle, tel un enfant pris la main
dans le sac.
« Quand Jerome m’a envoyé porter son arc et ses flèches
dans la salle forte, j’ai pensé à saint Sébastien. Je me disais que si les
meurtres semblaient suivre un motif, ils seraient encore plus effrayants. J’ai
demandé au docteur Coverdale si je pouvais lui parler en privé, il m’a répondu
qu’il quitterait la disputation en avance. Il croyait que je venais lui
demander de l’argent, mais il ne s’attendait pas à ce qui lui est
arrivé. »
Il avait croisé les bras et se balançait doucement, la
bouche ouverte, riant en silence.
« J’avais besoin de ces lettres, moi aussi. Cette
chambre était celle de mon père, vous vous souvenez ? Je savais qu’en les
adressant à la bonne personne je provoquerais la chute de ce prêtre
dégénéré. »
Il toisait Jérôme maintenant.
« Mais je ne comprends pas, le relançai-je. Si vous
vouliez le dénoncer, pourquoi ne pas tout simplement aller trouver le recteur
pour tout lui raconter ? Vous auriez épargné deux innocents. »
Ma remarque parut blesser Thomas.
« Et que me serait-il arrivé ? Je vous prenais
pour quelqu’un d’intelligent, docteur Bruno. Je dépendais de lui, vous
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