Le prix de l'hérésie
vie.
Je passai une porte basse à la suite de Thomas et découvris
une plate-forme circulaire d’environ quatre mètres de large ceinte par un muret
crénelé qui m’arrivait à peu près à la poitrine. Trente mètres plus bas se
déployait le sentier par lequel j’avais approché la maison, le feuillage vert
des bois alentour ainsi que les lointaines collines encore embrumées. Le vent
qui soufflait en rafales me hurlait aux oreilles. Face à nous, Jerome serrait
Sophia contre lui, le couteau pointé sur elle, ses cheveux lui balayant le
visage.
« Approche, Thomas, le défia-t-il. Tu veux la
sauver ? »
Thomas hésita un instant puis je le vis se contracter et
s’armer de courage en essayant d’estimer à quelle vitesse il pouvait
intervenir. Sophia gémissait faiblement en nous regardant tour à tour, Thomas,
moi-même et l’homme qui la tenait dans ses bras, certes pas pour la première
fois, mais dans une tout autre intention. D’après l’expression de son visage,
il était évident qu’elle ignorait si Jerome était sérieux ou s’il jouait un
rôle afin de piéger Thomas. Je tendis la main pour retenir celui-ci, mais il se
décida au même moment et se rua sur son ancien maître, en se penchant de façon
à le percuter de tout son poids. Jetant Sophia à terre, le prêtre essaya
d’abattre son couteau mais Thomas le contra au dernier moment et l’attrapa par
les poignets. Les bras levés en une espèce d’arche, ils se neutralisèrent un
moment, tremblant sous l’effort, la lame argentée luisant au-dessus d’eux. Puis
Thomas lança son genou et toucha Jerome à l’aine : le prêtre se plia en
deux en poussant un cri. Son adversaire profita de ce moment de faiblesse pour
lui tordre le bras et le forcer à lâcher le couteau, qui tomba à leurs pieds.
Cependant, il n’eut pas le temps de s’en emparer car Jerome l’empoigna par les
cheveux, lui tira la tête en arrière et lui décrocha un coup de poing en plein
visage. Thomas, le nez en sang, essaya de le frapper à son tour mais Jerome,
plus vif, le frappa une deuxième fois à la mâchoire. Thomas chancela, se
rapprochant dangereusement du parapet.
Sophia s’était recroquevillée contre le mur. Je m’accroupis
près d’elle et lui désignai l’escalier mais elle secoua la tête, regardant d’un
air terrorisé et fasciné à la fois le combat mortel qui se jouait devant nous.
Sans quitter les deux hommes des yeux, je me penchai pour ramasser le couteau.
Le visage tuméfié et ensanglanté, Thomas puisa dans ses dernières forces pour
prendre Jerome à la gorge. Son adversaire, le visage déformé par la haine, lui lâcha
les cheveux et chercha à son tour à l’étrangler. Ils luttèrent ainsi un moment,
chacun calquant ses pas sur ceux de l’autre en une danse mortelle. Tantôt l’un
prenait l’ascendant, tantôt c’était l’autre, tous deux étouffant et ahanant,
refusant de céder, et il semblait qu’ils finiraient par se tuer mutuellement
lorsque Jerome, qui avait l’avantage du poids et de la taille, parvint à faire
reculer Thomas de quelques pas jusqu’à un créneau. Sentant le mur dans son dos,
ce dernier resserra sa prise. Le prêtre pesa alors de tout son poids et fit
dangereusement basculer son ennemi dans le vide. L’espace d’un instant je crus
qu’ils allaient chuter ensemble vers une mort certaine. Tout à coup, Sophia
bondit sur ses pieds, m’arracha le couteau des mains sans me laisser le temps
de réagir et courut jusqu’aux deux hommes. Là elle frappa, juste une fois, la
main droite de Thomas qui continuait de se cramponner au cou de son amant.
Thomas hurla et lâcha prise. En un éclair Jerome l’imita et,
s’arc-boutant contre le parapet, chargea de toutes ses forces contre la
poitrine de son ennemi. Le garçon hurla et battit l’air de ses bras en
cherchant désespérément à se raccrocher. Puis il bascula en arrière et
disparut, son cri faiblissant à mesure qu’il parcourait les sept étages.
L’impact fut si sourd que nous l’entendîmes à peine depuis le sommet de la
tour. J’avais envie de me pencher par-dessus le parapet mais je préférai me
tenir à distance, craignant de tourner le dos à Jerome. Sophia s’effondra en
larmes dans ses bras, parcourue de tremblements convulsifs. Il lui prit
doucement le couteau des mains et posa sa joue sur son front en tentant de
reprendre sa respiration. Enfin son regard tomba sur moi et toute sa rage
sembla refluer, cédant la
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