Le prix de l'indépendance
bourse qu’il avait posée sur le guéridon près de son fauteuil.
— Je ne vous demande pas une faveur. Je pensais que vous pourriez les prendre en apprentissage.
— En apprentissage. Dans un bordel…
Ce n’était pas une question et son ton était teinté d’humour.
— Elles pourraient commencer comme bonnes. Il y a sûrement du ménage à faire chez vous ? Des pots de chambre à vider, ce genre de choses ? Et puis, si elles se montrent suffisamment malignes…
Il s’interrompit pour lancer un regard sévère aux deux fillettes. Hermione lui tira la langue.
— … vous pourriez peut-être leur apprendre à cuisiner. Ou à coudre. Vous avez sans doute beaucoup de raccommodage à faire, non ? Des draps déchirés ?
— Plutôt des chemises en loques, rétorqua-t-elle.
Elle leva les yeux vers le plafond où un grincement de ressorts rythmique trahissait la présence d’un client.
Les fillettes avaient quitté leurs tabourets et rôdaient dans le salon comme une paire de chats sauvages, examinant les bibelots avec fascination. Il se rendit soudain compte qu’elles n’avaient jamais vu une ville et encore moins l’intérieur d’une maison plutôt cossue.
Mme Sylvie saisit la bourse et la soupesa en écarquillant les yeux, surprise par son poids. Elle l’ouvrit et versa une poignée de billes noires dans sa paume. Elle releva un regard surpris vers Ian. Il lui sourit, cueillit l’une des billes dans sa main, la frotta vigoureusement avec son pouce et la laissa retomber dans sa paume. Un éclat d’or brillait au milieu de la masse noire.
Mme Sylvie plissa les lèvres et soupesa à nouveau la bourse.
— Tout ça ? demanda-t-elle.
Il avait estimé qu’elle contenait plus de cinquante livres d’or ; la moitié de ce qu’il transportait avec lui. Il bondit et ôta des mains de Hermione le bibelot en porcelaine qu’elle tripotait.
— Ce ne sera pas une tâche facile, déclara-t-il. Cela les vaut bien, je crois.
— Oui, en effet, répondit-elle en regardant Trudy.
Cette dernière, avec une nonchalance extrême, avait baissé ses culottes et était en train de se soulager dans un coin de la grande cheminée. Depuis que le secret de leur sexe avait été révélé, les fillettes avaient perdu toute pudeur.
Mme Sylvie agita sa clochette en argent, faisant sursauter les deux enfants.
— Pourquoi moi ?
— Je ne connais personne d’autre capable de les mater, répondit Ian.
— Vous m’en voyez très flattée.
— Alors, marché conclu ?
Elle soupira et se tourna vers les gamines. Elles étaient en train d’échanger des messes basses en l’observant d’un air dubitatif. Mme Sylvie secoua la tête.
— Je fais sans doute une très mauvaise affaire… mais les temps sont durs.
— Comment, dans votre métier ? J’aurais cru que la demande était constante.
Il avait voulu plaisanter mais elle le dévisagea gravement.
— Oh, ce ne sont pas les clients qui manquent mais ils n’ont plus d’argent. Personne n’en a, d’ailleurs. J’accepte les poulets ou les flèches de lard mais beaucoup n’ont même plus ça à offrir. Ils me donnent de l’argent de la proclamation, des billets continentaux, voire des bons émis par une milice… Vous avez une idée de ce qu’ils valent sur le marché ?
— Oui, je…
Mais elle était lancée, frémissante d’indignation.
— Ou encore, ils me payent des nèfles. Quand tout va bien, les hommes suivent, enfin… dans l’ensemble. Mais serrez-leur un peu la ceinture et, tout à coup, ils veulent tous prendre leur plaisir à l’œil. Après tout, qu’est-ce que ça me coûte, à moi ? Je ne peux même pas refuser, autrement ils viendront se servir de force puis brûleront ma maison ou nous battront pour avoir osé leur tenir tête.
Sa voix vibrait d’amertume et il abandonna aussitôt son idée de lui proposer de sceller leur marché de façon plus intime.
— Je vois, répondit-il avec prudence. Mais ce genre d’incident n’est-il pas un des risques du métier ? Jusqu’à présent, ça ne vous a pas empêchée de prospérer, n’est-ce pas ?
Elle pinça les lèvres un instant.
— J’avais un… protecteur. Un gentleman qui s’occupait de moi.
— En échange de… ?
Elle rosit.
— Cela ne vous regarde pas.
Il pointa le menton vers la bourse qu’elle tenait.
— Peut-être que si. Si je place mes… mes… commença-t-il avec un geste vers les fillettes, occupées à tripoter le velours des rideaux, enfin, elles chez
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