Le prix de l'indépendance
durerait pas jusqu’au matin. Où trouverait-il quelqu’un qui, non seulement accepterait de les recueillir, mais serait capable de s’occuper d’elles ?
Un ronflement, léger comme un bourdonnement d’abeille, s’élevait de la couverture. Il sourit. La petite Mandy, la fille de Bree, faisait le même bruit dans son sommeil.
Il avait parfois tenu Mandy dans ses bras pendant plus d’une heure, la regardant dormir, ne voulant pas se séparer de la chaleur de ce petit fardeau, observant le battement du pouls dans son cou. Il imagina sa propre fille avec une douleur tempérée par le temps. Mort-née, son visage, un mystère. Trouvant qu’elle était trop jeune pour avoir un vrai nom, les Mohawks l’avaient simplement appelée Yeksa’a, « petite fille ». Pourtant, elle en avait un, Iseabaìl. C’était lui qui le lui avait donné.
Il s’enveloppa dans le vieux plaid élimé que son oncle Jamie lui avait offert lorsqu’il était parti vivre parmi les Mohawks et s’allongea près du feu.
Prie . C’était ce que lui auraient conseillé son oncle et ses parents. Il ne savait pas trop à qui s’adresser, ni quoi dire. Devait-il parler au Christ, à la Vierge Marie, ou encore à undes saints ? A l’esprit du cèdre rouge qui montait la garde près du feu ou à la vie qui se déplaçait dans la forêt, murmurant dans la brise nocturne ?
— A Dhia , chuchota-t-il enfin au ciel au-dessus de lui. Cuidich mi .
Puis il s’endormit. Peut-être fut-ce Dieu ou la nuit qui lui répondit car, lorsqu’il se réveilla le lendemain à l’aube, il avait une idée.
Il pensait être accueilli par la servante bigleuse mais ce fut Mme Sylvie en personne qui lui ouvrit. Elle se souvenait de lui ; il aperçut dans ses yeux une lueur de reconnaissance (et, pensa-t-il, de plaisir), même si, bien sûr, elle n’alla pas jusqu’à sourire.
Elle le dévisagea d’un air impassible.
— Monsieur Murray…
Elle baissa les yeux et perdit un peu de sa superbe. Elle repoussa ses lunettes sur son nez pour mieux voir les deux petites personnes qui l’accompagnaient puis le dévisagea à nouveau avec une mine soupçonneuse.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
Il s’y était attendu. Il sortit la petite bourse qu’il avait préparée et la secoua pour faire tinter les pièces.
Elle changea d’expression et s’effaça pour les laisser entrer tout en fixant les gamines d’un œil méfiant.
Les deux diablesses n’étaient guère plus confiantes (il ne s’était pas encore résolu à les considérer comme de vraies filles). Elles restèrent sur le pas de la porte jusqu’à ce qu’il les attrape par la peau du cou et les pousse dans le salon de Mme Sylvie. Il les força à s’asseoir mais elles semblaient avoir une autre idée en tête. Il ne les quitta pas de son regard d’acier tout en discutant avec la propriétaire de l’établissement.
— Vous voulez que j’en fasse des bonnes ? répéta-t-elle, incrédule.
Il les avait lavées (tout habillées), ce qui lui avait valu quelques morsures. Heureusement, aucune ne s’était infectée, mais pour ce qui était de leur chevelure, la seule solution était de la couper ras et il n’était pas près d’approcher d’elles avecdes ciseaux, tant pour leur bien que pour le sien. Elles le lorgnaient donc par-dessous leurs mèches raides de crasse avec des yeux rouges et malveillants de gargouilles.
— C’est qu’elles ne veulent pas faire les putains, expliqua-t-il avec affabilité. Je n’y tiens pas non plus. Non que je sois contre cette profession personnellement, ajouta-t-il par pure politesse.
Un pli apparut à la commissure des lèvres de la maquerelle et elle le dévisagea d’un air amusé.
— Je suis ravie de l’entendre.
Elle l’examina des pieds à la tête en laissant traîner son regard, lentement, le jaugeant d’une manière qui lui donna l’impression d’avoir été plongé dans un bain très chaud. Elle se concentra à nouveau sur son visage ; cette fois elle semblait clairement se divertir.
Il toussota, se souvenant avec un mélange de gêne et de concupiscence de divers moments de leur précédente rencontre, deux ans plus tôt. Extérieurement, c’était une femme au physique quelconque ayant passé la trentaine, son visage et son allure rappelant davantage la mère supérieure d’un couvent qu’une prostituée. Cependant, sous sa robe simple en calicot et son tablier en mousseline, elle valait son pesant d’or.
Il indiqua la
Weitere Kostenlose Bücher