Le prix de l'indépendance
chaussures sur le palier de descendre nous chercher une carafe de vin. Compte tenu de l’état de nerfs des Bell, je sentais que nous en aurions tous besoin.
Je refermai la porte juste à temps pour entendre Lillian Bell nous expliquer qu’elles ignoraient qui avait kidnappé leur père.
— En tout cas, je ne connais pas leurs noms. Ces mécréants portaient des capuches. Mais ce sont des Fils de la liberté, ça ne fait aucun doute !
— C’est vrai ! renchérit Miriam. Père avait reçu des menaces de leur part ; des billets cloués sur notre porte, un poisson mort enveloppé dans un morceau de flanelle rouge et abandonné sur notre seuil, ce genre de choses.
A la fin du mois d’août précédent, les menaces avaient été mises à exécution. Alors qu’il rentrait de son entrepôt, un groupe d’hommes encapuchonnés avait surgi d’une allée, l’avait maîtrisé, transporté jusqu’aux quais et jeté à bord d’un navire qui venait de larguer ses amarres, toutes voiles dehors.
J’avais déjà entendu parler de ces « déportations » de loyalistes mais c’était la première fois que j’étais confrontée à un cas précis. Je demandai :
— Si le navire se rendait à Southampton, comment se fait-il que votre père se soit retrouvé en Ecosse ?
Les trois Bell se mirent à parler toutes en même temps, ce qui engendra une certaine confusion. Une fois de plus, ce fut Miriam qui l’emporta.
— Il est arrivé en Angleterre sans un sou, avec uniquement les vêtements qu’il portait sur le dos. Il n’avait pas d’argent pour se nourrir ni payer la traversée. Heureusement, le capitaine du navire s’est lié d’amitié avec lui et l’a conduit de Southampton à Londres. Là, mon père a recherché des hommes avec qui il avait fait commerce par le passé. L’un d’eux lui a prêté de quoi rembourser le capitaine et lui a promis un passage jusqu’en Géorgie à condition qu’il s’occupe du fret d’un navire se rendant d’Edimbourg aux Antilles puis en Amérique. Il a donc accompagné son bienfaiteur à Edimbourg mais, une fois là-bas, a découvert que ce qu’il devait charger aux Antilles était en fait une cargaison d’esclaves.
Mme Bell intervint avec une fierté timide :
— Mon mari est abolitionniste, monsieur Fraser. Il ne peut tolérer l’esclavage ni aider sa pratique, quel qu’en soit le prix à payer.
Lillian reprit, le front barré d’un pli anxieux :
— Quand M. Forbes nous a raconté ce que vous aviez fait pour cette esclave… la camériste de Mme Cameron, nous nous sommes dit que… bien que vous soyez…
— Un rebelle parjure, l’interrompit doucement Jamie. Je vois. Ce M. Forbes… Il ne s’agirait pas de Neil Forbes, l’avocat ?
Il paraissait légèrement incrédule, à juste titre.
Quelques années plus tôt, Neil Forbes, encouragé par Jocasta Cameron, avait demandé la main de Brianna. Elle l’avait éconduit sans beaucoup de délicatesse, il fallait le reconnaître. Il s’était vengé en la faisant enlever par un pirate notoire. Il s’en était suivi une situation confuse, au cours de laquelle Jamie avait à son tour enlevé la mère de l’avocat (la vieille dame s’était follement amusée) et Ian avait tranché une des oreilles de Forbes. Le temps avait peut-être pansé ses plaies extérieures mais je l’imaginais difficilement en train de chanter les louanges de Jamie.
— Oui, c’est bien lui, confirma Miriam.
Je surpris un échange de regards incertains entre Mme Bell et Lillian.
— Et que vous a dit exactement M. Forbes à mon sujet ? demanda Jamie.
Les trois femmes pâlirent et se turent. Il se tourna vers Mme Bell, ayant identifié le maillon faible de la chaîne familiale et répéta sur un ton plus dur :
— Que vous a-t-il dit ?
Elle répondit d’une petite voix faible :
— Que c’était une bonne chose que vous soyez mort.
Sur ce, ses yeux roulèrent dans leurs orbites et elle s’effondra sur le plancher tel un sac de grains d’orge.
Heureusement, je m’étais procuré un flacon d’ammoniaque chez le docteur Fentiman. Il ranima rapidement Mme Bell qui fut prise d’une violente quinte de toux. Ses filles l’aidèrent à s’allonger sur le lit. Le vin arriva à point nommé et j’en servis à tout le monde, me réservant une tasse pleine.
Jamie fixa les trois femmes de son regard froid et pénétrant qui faisait généralement mollir les genoux des scélérats patentés et les faisait tout avouer en
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