Le prix de l'indépendance
lui fit signe de parler. Mme Bell poussa un soupir soulagé et laissa retomber ses épaules. Elle déclara avec une pointe de défi :
— J’ai encore quelques amis malgré… tout ce qui s’est passé.
Parmi eux se trouvait un certain DeLancey Hall qui possédait un ketch de pêche et, comme la moitié des habitants de la ville, augmentait ses revenus en faisant un peu de contrebande.
Il avait déclaré à Mme Bell attendre un navire en provenance d’Angleterre. Il devait arriver dans le courant de la semaine suivante, à condition de n’avoir pas été saisi ou coulé en route. Le bateau et sa cargaison appartenant à un membre des Fils de la liberté, il ne pourrait s’aventurer dans le port de Wilmington où deux navires de guerre britanniques montaient la garde. Il resterait donc au large et de petites embarcations locales assureraient discrètement sondéchargement. Après quoi, il voguerait vers le nord afin de reprendre une cargaison à New Haven.
— Puis il mettra le cap sur Edimbourg ! lança Lillian, enthousiaste.
Miriam reprit, défiante :
— Mon père y a un parent, Andrew Bell. Je crois qu’il est très connu. C’est un imprimeur et…
Le visage de Jamie s’illumina.
— Le petit Andy Bell ? Celui qui a imprimé la grande encyclopédie ?
— Lui-même, répondit Mme Bell, surprise. Ne me dites pas que vous le connaissez, monsieur Fraser ?
Jamie éclata de rire.
— Quand je pense au nombre de soirées que j’ai passées avec Andy Bell dans une taverne ! C’est lui, l’homme que je compte aller voir en Ecosse. Il a gardé ma presse d’imprimerie à l’abri dans son atelier, du moins je l’espère.
Cette nouvelle, ainsi qu’une nouvelle tournée de vin, eut un effet magique sur les Bell. Lorsqu’elles nous quittèrent, elles caquetaient comme des poules excitées, les joues rosies par l’espoir et l’animation. Je les observai descendre la rue depuis la fenêtre, blotties les unes contre les autres, titubant sous les effets conjugués de l’alcool et de l’émotion. Je demandai à Jamie :
— Tu penses que c’est raisonnable, ce bateau ?
— Mon Dieu, non !
Il déposa un baiser sur le sommet de mon crâne avant de reprendre :
— En faisant abstraction des tempêtes, des termites, d’un mauvais calfatage, des poutres qui lâchent et j’en passe, il y a encore les navires anglais dans le port, les corsaires au large…
— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Tout cela fait plus ou moins partie des risques de la traversée, non ? Je voulais parler du propriétaire, ce M. DeLancey Hall. Mme Bell croit connaître ses penchants politiques mais…
L’idée de nous livrer, nous et notre or, à la merci d’inconnus m’angoissait.
— Je sais. J’irai parler à ce M. Hall à la première heure demain matin. Ainsi peut-être qu’à M. Beauchamp. Mais pour le moment…
Il glissa une main le long de mon dos et me caressa une fesse.
— … Ian et son chien ne seront pas de retour avant une heure au moins. Que dirais-tu d’un autre verre de vin, Sassenach ?
Il avait bien l’air d’un Français, c’est-à-dire totalement déplacé dans un lieu comme New Bern. Beauchamp venait de sortir de l’entrepôt de Thorogood Northrup et discutait avec ce dernier devant la porte. La brise marine faisait voleter le ruban de soie qui retenait ses cheveux bruns. « Elégant. » C’était ainsi que Claire l’avait décrit. Elégant à la limite de la préciosité, même. Ses vêtements étaient de bon goût et luxueux. Il avait les moyens, conclut Jamie. Beaucoup de moyens.
— Il a l’air français, déclara Fergus, faisant écho à ses pensées.
Ils étaient assis près de la fenêtre du Whinbush, une taverne un peu louche à la clientèle composée de pêcheurs et d’ouvriers des entrepôts. Il y flottait une odeur de bière, de transpiration, de tabac, de goudron et de poisson pourri.
Fergus indiqua un sloop élancé noir et jaune se balançant au bout de son ancre à quelque distance des quais.
— C’est son bateau ?
— En tout cas, c’est celui sur lequel il est venu. J’ignore qui en est le propriétaire. Son visage te dit quelque chose ?
Fergus se pencha et colla son nez contre un des épais carreaux pour tenter de mieux voir M. Beauchamp.
Une bière à la main, Jamie, lui, examinait Fergus. Bien qu’ayant vécu en Ecosse depuis l’âge de dix ans et qu’il soit en Amérique depuis une dizaine d’années au moins, il paraissait lui aussi très
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