Le prix de l'indépendance
Stebbings étant petit et bedonnant, sa veste lui serrait les épaules et pendait mollement autour de sa taille ; les manches lui arrivaient au milieu des avant-bras. Pour ne pas perdre la culotte qui lui arrivait au-dessus du genou, Jamie l’avait retenue avec sa ceinture. Je constatai qu’outre son coutelas il portait l’épée du capitaine, plus deux pistolets chargés.
Ian écarquilla les yeux en voyant son oncle ainsi attifé mais, au regard noir que lui lança ce dernier, se garda de tout commentaire.
— Ce n’est pas si mal, dit M. Smith, encourageant. De toute façon, on n’a rien à perdre.
— Mmphm…
— Le garçon se tenait sur le pont en flammes, d’où tous sauf lui s’étaient sauvés , récitai-je à voix basse.
Ayant vu Guinea Dick, je me dis que Ian pourrait très bien passer pour un membre de la marine royale avec ses tatouages. Les hommes du Teal faisaient l’affaire également. Nous pourrions peut-être faire illusion.
L’autre navire était à présent assez proche pour que je distingue sa figure de proue, une femme aux cheveux noirs serrant…
— C’est bien un serpent qu’elle tient ?
Ian se pencha en avant, plissant des yeux.
— Elle a des crocs, observa-t-il.
— Le vaisseau aussi, mon garçon, ajouta John Smith.
Effectivement, les longs fûts de deux petits canons de chasse saillaient hors de la proue. Lorsque le vent dévia légèrement le vaisseau, j’aperçus une ligne de sabords sur son flanc. Ils pouvaient aussi être un trompe-l’œil. Les navires marchands étaient parfois peints de faux sabords pour décourager les pirates.
Les couleuvrines de chasse étaient bien réelles, elles. L’une d’elles tira. Il y eut un petit nuage blanc puis un boulet s’écrasa dans la mer non loin de nous.
— C’est un tir de courtoisie ? demanda Jamie. Ils nous font un signe ?
Apparemment pas. Les deux canons crachèrent à nouveau et un boulet traversa une des voiles au-dessus de nous, y laissant un grand trou aux bords roussis. Nous le contemplâmes, ahuris.
— Mais pour qui se prennent-ils pour oser tirer sur un navire du roi ? s’indigna Smith.
— Pour de maudits corsaires, rétorqua Jamie qui avait recouvré ses esprits. Et ils ont bien l’intention de nous attaquer.
Il ôta rapidement sa veste en criant :
— Mais abaissez le pavillon, nom de nom !
Le regard incrédule de Smith allait de Jamie au navire. On apercevait des hommes derrière le bastingage. Des hommes armés.
— Ils ont des canons et des mousquets, monsieur Smith ! insista Jamie. Je ne vais pas me mesurer à eux pour sauver un vaisseau de Sa Majesté. Abaissez le pavillon !
Faisant tournoyer sa veste au-dessus de sa tête, il la lança par-dessus bord. Elle virevolta plusieurs fois avant de se coucher sur les vagues. Pendant ce temps, M. Smith fouillait fébrilement parmi les nombreuses manœuvres attachées au mât, cherchant celle correspondant au pavillon. Il y eut une autre détonation mais un heureux hasard du roulis nous enfonça dans un creux et les boulets passèrent au-dessus de nous.
Le pavillon s’affaissa en un tas ignominieux sur le pont. L’espace d’un instant, mue par un réflexe patriotique absurde, je fus tentée de me précipiter pour le ramasser.
Je distinguais à présent les servants des canons en train de recharger. Les armes rutilaient. Il me sembla voir des épées et des coutelas, outre les mousquets et les pistolets.
Les servants venaient de se figer. Quelqu’un pointait un doigt vers la mer, criant quelque chose par-dessus son épaule. Une main en visière, je vis la veste de capitaine flottant sur lacrête d’une vague. Elle semblait les déconcerter. Un homme sauta sur la proue et regarda dans notre direction.
Qu’allait-il se passer ? Il pouvait s’agir de corsaires, porteurs d’une lettre de marque d’un gouvernement quelconque, ou de vrais pirates. Dans le premier cas, nous ne risquions pas grand-chose en tant que passagers. Dans le second, ils pouvaient tout bonnement nous égorger et nous jeter à la mer.
L’homme en proue cria quelque chose à ses compagnons et recula sur le pont. Le navire s’était écarté du lit du vent un moment pour ralentir. Il lofait à présent et ses voiles se gonflèrent brusquement dans un claquement sonore.
— Il va nous éperonner, dit Smith d’un ton incrédule.
La figure de proue se rapprocha suffisamment pour que je voie nettement le serpent que la femme serrait contre son sein. Choquée comme je
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