Le prix de l'indépendance
garder l’équilibre, serrant le canon de toutes ses forces entre ses cuisses, il se redressa, exhibant les zébrures sur son dos, les cicatrices rouge vif sur sa peau blanchie par le vent froid.
L’autre navire avait ralenti, manœuvrant de manière à glisser contre nous et à nous envoyer par le fond avec une dernière bordée. Je pouvais voir les hommes étirer une tête curieuse au-dessus du bastingage et dans les gréements mais ne tirant pas.
Je sentis soudain mon cœur battre à grandes pulsations douloureuses, comme s’il s’était arrêté un moment et tentait à présent de rattraper le temps perdu.
Le flanc du sloop nous surplomba et une ombre profonde et froide s’étendit sur notre pont. Il était si près que j’entendais ses canonniers discuter, échangeant des questions perplexes. Je ne pouvais lever les yeux, n’osais même pas bouger.
— Qui êtes-vous ?
La voix nasillarde et très américaine venait d’en haut. Elle paraissait profondément soupçonneuse et très agacée.
— Si vous voulez parler du bateau, il s’appelle le Pitt .
Jamie était descendu du canon et se tenait près de moi, à moitié nu. Il tremblait mais je n’aurais su dire si c’était deterreur, de rage ou simplement de froid. En revanche, sa voix ne tremblait pas. Elle était chargée de fureur.
— Si vous voulez parler de moi, je suis le colonel James Fraser, de la milice de Caroline du Nord.
Il y eut un silence tandis que le maître de l’autre navire assimilait ces informations. Puis il demanda :
— Où est le capitaine Stebbings ?
Le ton était toujours soupçonneux mais légèrement moins agacé.
— C’est une longue histoire, répondit Jamie. Mais il n’est pas à bord. Vous pouvez venir le vérifier par vous-même. Je peux remettre ma chemise ?
Il y eut une nouvelle pause. Des murmures. Le cliquetis de chiens de fusil relâchés. J’osai enfin relever les yeux. Le bastingage était bordé d’une rangée de mousquets et de pistolets mais ceux-ci pointaient à présent vers le ciel tandis que leurs propriétaires nous observaient d’un air intrigué.
— Un instant. Tournez-vous.
Jamie maugréa entre ses dents mais obtempéra. Il me lança un bref regard puis se redressa le dos droit et fixa le mât autour duquel les prisonniers avaient été rassemblés, surveillés par Ian. Ils paraissaient complètement déboussolés et regardaient sans comprendre le navire corsaire puis Jamie torse nu. Si je n’avais eu l’impression d’être en train de faire une crise cardiaque, j’aurais trouvé la scène comique.
— Vous êtes déserteur de l’armée britannique ? demanda la voix au-dessus, subitement intéressée.
Jamie se tourna à nouveau.
— Non. Je suis un homme libre et l’ai toujours été.
— Tiens donc ! dit la voix, cette fois amusée. Très bien. Enfilez votre chemise et montez à bord.
Je pouvais à peine respirer et étais trempée d’une sueur froide mais mon cœur retrouva un rythme plus raisonnable.
Jamie, rhabillé, me prit par le bras.
— Ma femme et mon neveu viennent avec moi.
Sans attendre l’accord d’en haut, il me saisit par la taille et me hissa sur le bastingage du Pitt afin que j’attrape l’échelle de corde que l’équipage du sloop venait de lancer. Il ne voulait pas risquer que nous soyons à nouveau séparés.
Le navire était ballotté par la houle et je dus m’agripper à l’échelle en fermant les yeux quelques instants, prise d’un étourdissement. Je me sentais nauséeuse, sans doute sous l’effet du choc. Rassemblant mes forces, je posai un pied sur l’échelon suivant.
— Voilier en vue !
En renversant la tête en arrière, je vis le bras qu’agitait un homme au-dessus de moi. Je me tournai pour regarder dans la direction indiquée et l’échelle se tordit avec moi. Une voile approchait. Sur le pont au-dessus, la voix nasale aboyait des ordres et des pieds nus crépitaient sur les planches tandis que les membres d’équipage couraient à leur poste.
Jamie, debout sur le bastingage du Pitt , me tenait par la taille pour m’empêcher de tomber.
— Putain de bordel de merde ! lâcha-t-il.
Je lui lançai un regard surpris par-dessus mon épaule.
— C’est ce foutu Teal .
Un homme grand, très mince, avec des cheveux gris, une pomme d’Adam proéminente, des yeux bleu clair, au regard perçant, nous accueillit en haut de l’échelle.
— Capitaine Asa Hickman, beugla-t-il dans ma direction.
Puis il tourna
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