Le prix de l'indépendance
Pas encore.
Il lança un regard nonchalant vers les fenêtres en poupe. Une bonne moitié avaient leur volet fermé, sans doute parcequ’elles étaient cassées. Les autres étaient pour la plupart ébréchées.
— Il tire juste en espérant un coup de chance. Nous avons l’avantage du vent et le conserverons sans doute encore quelques heures.
— Je vois, dit Jamie comme s’il y entendait quelque chose.
Ian intervint avec tact :
— Le capitaine Hickman se demande s’il doit engager le combat, mon oncle, ou s’il doit prendre la fuite. Le fait d’avoir l’avantage du vent lui offre une plus grande marge de manœuvre que n’en a actuellement le Teal . Si j’ai bien compris.
Hickman lui jeta un regard noir puis se tourna à nouveau vers Jamie.
— Vous connaissez l’adage « Celui qui fuit de bonne heure peut combattre derechef ». Si je peux le couler, je le ferai. L’idéal serait d’abattre cette raclure sur son gaillard d’arrière et de m’emparer de son vaisseau, mais j’enverrai le tout par le fond s’il le faut. Toutefois, je ne le laisserai pas me couler, pas aujourd’hui.
— Pourquoi pas aujourd’hui plutôt qu’un autre jour ? demandai-je.
Il m’adressa un coup d’œil surpris, ayant visiblement pensé jusqu’ici que j’étais purement décorative.
— Parce que j’ai une importante cargaison à livrer, madame, et que je ne puis me permettre de la perdre. Mais si je peux mettre la main sur ce rat de Stebbings sans courir trop de risques…
— Donc, vous étiez déterminé à couler le Pitt uniquement parce que vous pensiez que le capitaine Stebbings était à bord ? s’enquit Jamie.
Le plafond de la cabine était si bas que Ian, Hickman et lui étaient obligés de discuter presque accroupis, ce qui les faisait ressembler à un groupe de chimpanzés. Il n’y avait aucun autre endroit où s’asseoir à part la couchette et s’agenouiller sur le plancher aurait manqué de dignité pour des gentlemen.
— En effet, monsieur, et je vous sais gré de m’avoir arrêté à temps. Nous pourrons peut-être partager un verre, quandnous en aurons le loisir, et vous me raconterez ce qui est arrivé à votre dos.
— Peut-être pas, répondit Jamie poliment. Où se trouve le Pitt actuellement ?
— Il dérive, à environ deux milles à un quart bâbord. Si j’en finis avec Stebbings, je reviendrai le chercher.
— S’il reste quelqu’un de vivant à bord, déclara Ian. La dernière fois que j’ai regardé, il y avait une véritable émeute sur le pont. Qu’est-ce qui pourrait vous persuader de prendre le Teal , capitaine ? Mon oncle et moi pouvons vous donner des informations sur son armement et son équipage. Même si Stebbings a pris son commandement, il aura sûrement du mal à résister à un assaut. Il n’a que dix de ses hommes avec lui. Le capitaine Roberts et son équipage refuseront probablement de prendre part au combat.
Jamie lui lança un regard navré.
— Ils l’ont probablement déjà tué, tu le sais.
Ian ne ressemblait en rien à Jamie mais je connaissais intimement cette expression d’opiniâtreté implacable.
— C’est possible, mon oncle. Mais tu m’abandonnerais si tu pensais que j’étais peut-être mort ?
Je vis Jamie ouvrir la bouche pour répondre : « C’est un chien », mais il se ravisa. Il ferma les yeux et soupira, imaginant vraisemblablement la perspective de déclencher une bataille navale qui mettrait nos vies en danger ainsi que celles des hommes à bord du Teal pour un chien âgé qui n’était peut-être déjà plus de ce monde, voire était peut-être dans le ventre d’un requin. Puis il se redressa autant qu’il le pouvait dans la cabine étroite et déclara à Hickman :
— Un grand ami de mon neveu se trouve à bord du Teal et est selon toute probabilité en danger. Je sais que cela ne vous concerne pas mais cela explique notre intérêt. Pour ce qui est du vôtre… outre le capitaine Stebbings, le navire transporte une cargaison précieuse : six caisses de fusils.
Ian et moi sursautâmes. Hickman se redressa vivement, se cognant la tête contre le plafond.
— Sacrebleu ! Vous en êtes sûr ?
— Oui, et j’imagine que l’armée continentale pourrait en faire un excellent usage.
Il s’aventurait sur un terrain glissant. Après tout, le fait que Hickman haïsse Stebbings ne signifiait pas forcément qu’il était un patriote américain. Du peu que j’en avais vu, le capitaine Stebbings était
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