Le prix de l'indépendance
rappela avec horreur qu’il avait perdu son livre. Désemparé par l’enchaînement de ses mésaventures, il n’avait pas encore mesuré la véritable portée de cette perte.
Outre sa valeur purement récréative et son utilité en tant que recueil pour ses méditations, le livre était vital à sa mission. Il contenait plusieurs passages codés lui indiquant le nom des différentes personnes qu’il devait contacter, où les trouver et, plus important encore, ce qu’il devait leur dire. Il se souvenait de la plupart des noms mais, pour le reste…
Sa consternation était telle qu’il en oublia sa douleur et se leva abruptement, saisi de l’envie de se précipiter dans le marais et de le passer au peigne fin jusqu’à retrouver l’ouvrage.
— Vous ne vous sentez pas bien ?
Murray s’était levé lui aussi et l’examinait avec un mélange d’inquiétude et de curiosité.
— Hein… oh, si, si. Je viens juste de penser à quelque chose.
— Vous feriez mieux de réfléchir assis. Vous allez tomber dans le feu.
De fait, William voyait des points de lumière danser devant ses yeux.
— Je… oui, vous avez raison.
Il se rassit encore plus soudainement qu’il ne s’était levé, une sueur froide perlant sur son visage. Une main sur son épaule l’incita à s’allonger, et il s’abandonna, sentant vaguement qu’autrement il perdrait connaissance.
Murray marmonna quelque chose d’incompréhensible suivi d’un grognement de consternation très écossais. William le devinait penché sur lui, hésitant.
— Je vais bien, lui dit-il sans rouvrir les yeux. J’ai juste… besoin de me reposer un peu.
— Mmphm.
Murray s’éloigna et revint quelques instants plus tard avec une couverture qu’il étendit sur lui. William le remercia d’un signe de tête.
Ses membres lui faisaient mal depuis un certain temps mais, pressé par la nécessité d’avancer, il n’y avait pas prêté attention. A présent, la fièvre qu’il avait refoulée s’abattait sur lui avec toute sa force et il claquait des dents. Il attendit que la première vague de frissons passe avant de demander à Murray dont il percevait l’ombre accroupie devant le feu :
— Vous connaissez Dismal Town ?
— Oui. J’y suis déjà allé quelquefois. Une petite ville lugubre.
— Ah ! Et vous n’y auriez pas rencontré un M. Washington, par hasard ?
— J’en ai bien rencontré cinq ou six. C’est que le général a de nombreux cousins, voyez-vous.
— Le gé… gé…
— Le général Washington. Vous avez sans doute entendu parler de lui ?
Il y avait une note d’amusement dans sa voix.
— Oui, en effet, mais…
Cela n’avait aucun sens. William se concentra, s’efforçant de rassembler ses pensées erratiques.
— Je dois retrouver un M. Henry Washington. C’est un parent du général, lui aussi ?
— Pour autant que je sache, tous ceux s’appelant Washington et vivant dans un rayon de cinq cents kilomètres sont de la même famille.
Murray se pencha au-dessus de son sac et en sortit une longue masse velue se terminant par une queue dépourvue de poils.
— Pourquoi ? demanda-t-il.
— Je… non, rien.
William inspira une grande goulée d’air, les muscles de son ventre se dénouant. Entre sa perplexité et la fièvre, ses derniers remparts étaient en train de s’effriter. Il reprit :
— On m’a dit que ce M. Henry Washington était un important loyaliste.
Murray se tourna vers lui, ahuri.
— Qui vous a raconté une ânerie pareille ?
— Quelqu’un qui, visiblement, se trompait.
William pressa les mains contre ses yeux brûlants.
— Qu’est-ce que c’est que cette bestiole, un opossum ?
— Un rat musqué. Ne vous en faites pas, il est tout frais. Je l’ai tué juste avant notre rencontre.
— Ah, tant mieux.
William se sentait étrangement réconforté sans vraiment comprendre pourquoi. Il avait déjà mangé du rat musqué et savait sa chair savoureuse. La faim l’avait vidé de ses forces mais la fièvre lui avait volé son appétit. Il tirait plutôt son réconfort de la voix et de l’accent de Murray. Il avait cette intonation douce et détachée qui lui rappelait Mac le palefrenier. Ce dernier lui parlait souvent sur ce ton pour le consoler ou lui redonner du courage, qu’il soit tombé de son poney ou qu’il n’ait pas eu le droit d’accompagner son grand-père en ville.
— Vous avez la barbe rousse, observa soudain Murray.
— Vous ne le remarquez qu’à présent ?
Weitere Kostenlose Bücher