Le prix de l'indépendance
la main et lui toucha enfin le visage, ses doigts aussi légers que des ailes de papillon.
— Mais parfois, tu me manques, Ian.
Il sentit sa gorge se nouer et se força à continuer de sourire.
— Tu ne me demandes pas si je suis heureux, moi aussi ?
— J’ai des yeux, répondit-elle simplement.
Le silence retomba entre eux. Il détourna la tête mais il pouvait la sentir. Douce. Epanouie. Elle s’adoucit encore, s’ouvrant à lui. Elle avait été sage de ne pas le suivre dans le jardin. Ici, avec son fils jouant dans la poussière à ses pieds, elle était en sécurité.
— Tu comptes rester ici ? demanda-t-elle enfin.
— Non, je pars pour l’Ecosse.
— Tu prendras une femme parmi ton propre peuple.
Il y avait du soulagement dans sa voix mais également du regret.
— Ton peuple n’est-il donc plus le mien ? demanda-t-il avec une certaine véhémence. Ils ont lavé mon sang blanc dans la rivière ; tu y étais.
— Oui, j’y étais.
Elle le dévisagea longuement. Ils ne se reverraient probablement plus jamais. Voulait-elle graver ses traits dans sa mémoire ou cherchait-elle autre chose dans son visage ?
Elle lui fit signe d’attendre, tourna brusquement les talons et disparut à nouveau dans la maison. La fillette courut derrière elle, ne voulant pas rester seule avec un inconnu, mais le garçon resta sur place, intrigué.
— Tu es Frère du Loup ?
— Oui. Et toi, comment t’appelles-tu ?
— Creuseur.
C’était un nom provisoire, donné à l’enfant pour des raisons pratiques en attendant que son vrai nom se révèle de lui-même d’une manière ou d’une autre. Ian hocha la tête et ils s’étudièrent quelques minutes en silence sans la moindre gêne. Puis Creuseur déclara soudain :
— Celle qui est la mère de la mère de ma mère m’a parlé de toi.
— Vraiment ?
Ce devait être Tewaktenyonh. Une grande dame, chef du conseil des femmes de Snaketown… et celle qui l’avait chassé du clan.
— Tewaktenyonh vit toujours ? demanda-t-il.
— Oh oui ! Elle est plus vieille que les montagnes. Il ne lui reste plus que deux dents mais elle mange quand même.
Ian sourit.
— Tant mieux. Et que t’a-t-elle dit sur moi ?
Le garçon plissa le front, fouillant sa mémoire.
— Elle a dit que j’étais l’enfant de ton esprit mais que je ne devais pas le dire à mon père.
Le coup fut bien plus violent que ceux assénés par le père du garçon et il resta un instant sans voix. Quand il se fut ressaisi, il répondit :
— Oui, je crois moi aussi que tu ne devrais pas le lui dire.
— Est-ce que je serai avec toi, un jour ? demanda Creuseur, l’esprit ailleurs, son attention accaparée par un lézard qui s’était avancé sur le muret pour se dorer au soleil.
Ian s’efforça d’adopter un ton neutre :
— Si je vis.
L’enfant observait toujours le petit reptile avec concentration. Sa main droite remua. Toutefois, il ne pourrait jamais l’atteindre et il le savait. Il lança un coup d’œil à Ian qui se trouvait plus près. Ni l’un ni l’autre ne bougèrent mais ils échangèrent un regard entendu. Le garçon retint son souffle.
Dans ce type de situation, la réflexion n’est pas de mise. Un geste vif et, l’instant suivant, le lézard gigotait dans la main de Ian.
L’enfant poussa des cris de joie en sautillant sur place. Il tendit les mains et Ian lui remit le reptile qu’il reçut avec le plus grand soin.
— Que vas-tu faire de lui ? demanda Ian.
Creuseur approcha le lézard de son visage, le contempla attentivement.
— Je vais lui donner un nom. Ainsi, il sera à moi et me bénira la prochaine fois que nous nous rencontrerons.
Il approcha encore le lézard de son œil et les deux se fixèrent sans ciller.
— Ton nom est Bob, dit enfin le garçon.
Il déposa cérémonieusement le reptile sur le sol. Bob bondit de sa paume et disparut aussitôt sous une bûche.
— C’est un excellent nom, dit gravement Ian.
Il se retenait de rire, mais l’envie lui passa l’instant suivant, quand la porte de la maison s’ouvrit et qu’Emily réapparut, un paquet dans les bras.
Elle s’avança et lui tendit un enfant emmailloté attaché sur une planche porte-bébé, un peu comme il avait lui-même présenté le lézard à Creuseur quelques instants plus tôt.
— Voici ma seconde fille, déclara-t-elle avec une fierté timide. Veux-tu bien choisir son nom ?
Emu, il effleura la main d’Emily avant de prendre le porte-bébé et de le poser
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