Le prix de l'indépendance
dans son inventaire des caractéristiques remarquables de William, elle ne parlait pas de ses yeux. Or, outre sa grande taille qui passait difficilement inaperçue, ses yeux étaient probablement son trait le plus saisissant. Ils étaient d’un bleu profond et brillant, d’une forme inhabituelle, bridés comme ceux d’un chat. C’étaient les yeux de Jamie Fraser et, chaque fois que William le regardait avec une certaine expression, Grey ressentait un petit pincement au cœur.
William était parfaitement conscient de l’effet de son regard sur les jeunes femmes et n’hésitait pas à en profiter. S’il avait langoureusement dévisagé Dottie, elle aurait été clouée sur place, amoureuse ou pas. Quant à cet émouvant récit d’extase dans le parc… tantôt lors d’une soirée musicale, tantôt lors d’un bal, un soir chez lady Belvedere, l’autre chez lady Windermere…
Absorbé par ses pensées, il ne se rendit pas tout de suite compte que Dottie avait cessé de parler.
— Je te demande pardon, ma chère, et je te remercie pour ce panégyrique à la gloire de William, un discours qui ne peut que réchauffer le cœur du père que je suis. Mais tu n’as toujours pas répondu à ma question : pourquoi cette urgence ? William rentrera sûrement à Londres d’ici un an ou deux.
— Il pourrait être tué !
Son ton exprimait une angoisse si réelle qu’il en fut presque alarmé. Elle déglutit péniblement, une main sur sa gorge.
— Je ne le supporterais pas, poursuivit-elle d’une petite voix. S’il… s’il lui arrivait malheur et que nous n’ayons jamais… jamais eu l’occasion de…
Elle l’implorait d’un regard chargé d’émotion et lui prit le bras.
— Il le faut, dit-elle. Vraiment, oncle John, je ne peux pas attendre. Je veux aller en Amérique et me marier.
Il en resta pantois. Vouloir se marier était une chose mais ça … !
— Tu n’es pas sérieuse ! Tu ne crois tout de même pas que tes parents, et notamment ton père, t’autoriseront à partir !
— Il acceptera si tu lui présentes la chose sous un angle flatteur. Il estime ton jugement plus que celui de n’importe qui.
Elle exerça une légère pression sur son bras.
— Et, oncle John, tu dois comprendre mieux que personne l’horreur que je ressens à l’idée que quelque chose puisse arriver à William avant que je l’aie revu.
De fait, le seul facteur jouant en sa faveur était le désarroi que lui inspirait la disparition possible de William. Effectivement, il pouvait être tué, comme n’importe quel homme en temps de guerre, un soldat en particulier. C’était le risque encouru, mais il ne pouvait en son âme et conscience empêcher William de le prendre même si l’idée qu’il puisse être mis en pièces par un boulet de canon, abattu d’une balle en pleine tête ou souffrir la lente agonie d’une fluxion…
La gorge sèche, il s’efforça de repousser ces images insoutenables dans un placard métallique solidement cadenassé au fond de son esprit.
— Dorothea, annonça-t-il d’une voix ferme, je finirai bien par découvrir ce que vous tramez.
Elle le dévisagea longuement, songeuse, comme si elle évaluait ses chances. L’angle de sa bouche se souleva imperceptiblement et elle plissa les yeux. Il pouvait lire sa réponse sur son visage aussi clairement que si elle l’avait dite à voix haute.
Ça m’étonnerait.
Cela ne dura qu’une fraction de seconde puis elle prit un air indigné.
— Oncle John ! Il s’agit de William, ton fils ! Comment peux-tu nous accuser de… De quoi nous accuses-tu, au juste ?
— Je l’ignore, admit-il.
Dottie était une flirteuse-née. Elle se pencha vers lui, si près qu’il sentit le parfum de violettes dans ses cheveux, et enroula ses doigts autour des revers de sa cape.
— Alors ? Tu parleras à papa pour nous ? Pour moi ? S’il te plaît ! Aujourd’hui ?
— Je ne peux pas, répondit-il tout en cherchant à se libérer. Pas pour le moment. Je lui ai déjà fait subir un choc aujourd’hui. Un second risquerait de l’achever.
— Demain alors ?
Il lui prit les mains et s’émut de constater qu’elles étaient froides et tremblantes. Elle était sincère… même si elle ne disait pas la vérité.
— Dottie, répéta-t-il plus doucement. Même si ton père était disposé à t’envoyer en Amérique pour te marier… et je ne peux imaginer pour quelle raison il accepterait, à moins d’apprendre que tu attends un enfant… il
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