Le prix de l'indépendance
interrogateur.
— Vous n’auriez pas une petite idée de qui il s’agit ?
Grey avait un vague soupçon mais répondit néanmoins :
— Non. Et vous, une petite idée de qui le cherche et pourquoi ?
Norrington fit non de la tête.
— J’ignore pourquoi, répondit-il franchement. Quant à qui, il pourrait s’agir d’un aristocrate français.
Il saisit le petit sac en toile et en retira précautionneusement deux cachets en cire, l’un largement fendillé, l’autre intact. Tous deux représentaient un martinet devant un soleil levant.
Norrington les toucha du bout du doigt.
— Personne n’a encore réussi à les identifier. Ils vous disent quelque chose ?
La gorge soudain sèche, Grey répondit :
— Non, mais vous devriez regarder du côté d’un certain baron Amandine. Wainwright l’a mentionné dans notre conversation comme une de ses relations.
Norrington parut perplexe.
— Amandine ? Jamais entendu parler.
— Personne d’autre non plus…
Grey se leva avec un soupir.
— … au point que je commence à me demander s’il existe réellement.
Il se posait toujours la question tout en marchant vers la maison de Hal. Le baron Amadine n’était peut-être qu’une façade, masquant une personnalité beaucoup plus importante. Dans le cas contraire, tout devenait plus déroutant et plus simple à la fois. Puisqu’il était impossible de savoir de qui il s’agissait, Percy Wainwright restait la seule piste valable à suivre.
Aucune des lettres de Norrington ne mentionnait le Territoire Nord-Ouest ni ne contenait la moindre allusion à la proposition de Percy. Cela n’avait rien de surprenant ; il aurait été très dangereux de coucher ce genre d’informations sur le papier, même s’il avait connu bien des espions ayant commis ce genre d’erreur. Si Amandine existait vraiment, c’était un homme sage et prudent.
De toute façon, il allait devoir parler de Percy à Hal. Peut-être saurait-il quelque chose sur cet Amandine ou pourrait-il mener une enquête. Il avait beaucoup d’amis en France.
Penser à Hal lui rappela brusquement la lettre de William, presque oubliée parmi les intrigues du matin. Il marmonna d’exaspération dans sa barbe. Non, il n’était pas question de parler de ça à son frère avant d’avoir pu discuter avec Dottie. En tête à tête.
Quand il arriva à Argus House, Dottie n’était pas à la maison.
Lorsqu’il s’enquit courtoisement de sa nièce et filleule, sa belle-sœur Minnie lui répondit :
— Elle est sortie à l’un des après-midi musicaux de Mlle Brierley. Elle est très mondaine, ces temps-ci. Elle sera navrée de t’avoir raté.
Elle se hissa sur la pointe des pieds et l’embrassa, rayonnante.
— Cela me fait tellement plaisir de te voir, John.
— Moi de même, Minnie. Hal est à la maison ?
Elle leva les yeux vers le plafond.
— Cela fait huit jours qu’il n’est pas sorti. Il a la goutte. Encore une semaine dans cet état et je mets du poison dans sa soupe.
— Ah !
Cela renforça sa décision de ne pas parler à Hal de William. De bonne humeur, son frère terrifiait les soldats aguerris et les politiciens endurcis ; souffrant… Voilà qui expliquait sans doute pourquoi Dottie avait le bon sens de ne pas rester dans les parages.
Les nouvelles qu’il s’apprêtait à lui annoncer n’allaient guère améliorer son humeur. Il poussa prudemment la porte du bureau. Son frère était connu pour lancer des objets à la tête des gens quand il était irritable et rien ne l’irritait plus que d’être malade.
A la vérité, Hal dormait, affalé dans un fauteuil devant la cheminée, son pied bandé posé sur un tabouret. Une puissante et âcre odeur de médicament flottait dans la pièce, étouffant celles du bois brûlé, du suif fondu et du pain rassis. Sur un plateau, une assiette de soupe attendait, froide et intacte. Minnie avait peut-être mis ses menaces à exécution. Grey sourit. A l’exception de leur mère et de lui-même, Minnie était la seule personne au monde qui n’avait jamais peur de Hal.
Il s’assit sans faire de bruit, hésitant à le réveiller. Hal avait les traits tirés et paraissait amaigri. Cela étant, il avait toujours été mince. Il possédait une élégance innée qui ne le quittait pas, même en caleçon, avec une vieille chemise en lin, les jambes nues et un châle miteux drapé autour des épaules. Néanmoins, les traces d’une vie passée sur les champs de bataille se lisaient
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