Le prix du secret

à l’étudier. Je m’éclaircis la gorge et intervins, d’un ton enjôleur.
    Cela porta enfin des fruits. Charpentier convint qu’il pourrait s’arranger pour nous loger, mais certains de nos gens devraient coucher dans la grange.
    — La paille y est bien sèche, aussi on ne retranchera rien au prix, nous prévint-il.
    Les Dodd et Sweetapple déclarèrent que ce serait sûrement mieux que la nuit précédente.
    — En tout cas, cela ne sera pas pire, affirma Mark du fond du cœur.
    La réticence de l’aubergiste semblait étrange. L’hostellerie paraissait calme et Brockley, apportant les malles, nous apprit que l’écurie était à moitié vide. Blanchard, irrité par cet accueil rebutant, aborda la question avec Charpentier quand enfin nous fûmes à l’intérieur.
    — Je ne comprends pas. Il est tôt et cette auberge est grande. Vous disposez de chambres au grenier, au premier et dans les ailes. Comment pouvez-vous être complet ? Il n’y a pas marché, aujourd’hui.
    — Non, monseigneur, répliqua Charpentier sur un ton peu affable. Le marché, c’était hier. Vous êtes des Anglais, donc sans doute des hérétiques. Eh bien, je vous le dis tout net : je suis un fils loyal de la sainte Église et l’hérésie me fait offense. Toute cette région est infestée de huguenots. Je leur couperais la gorge s’il ne tenait qu’à moi. Mais cela entraîne des mouvements de troupes, ce qui est bon pour le commerce. Cette nuit, j’aurai ici un jeune noble qui se rend à Paris avec une douzaine de vassaux, un prélat éminent avec une suite de dix soldats qui vont, eux aussi, grossir les troupes royales. Leurs chambres ont été réservées. J’ai en outre un marchand hollandais et ses deux compagnons, qui mènent quelque transaction dans les parages. Il y en a qui feraient commerce même s’il pleuvait du sang ! remarqua Charpentier, haussant les épaules. Lui aussi est protestant, mais son argent est aussi bon que le vôtre. À la tombée de la nuit, mon hostellerie sera pleine. Vous ai-je répondu ?
    Ainsi, le calme qui régnait à Saint-Marc était fragile. Les dissensions religieuses bouillonnaient sous la surface, prêtes à éclater. Aux yeux de Charpentier, les protestants ne valaient pas mieux que des blattes.
    À côté de moi, en dépit de mes avertissements avant de quitter Greenwich, Dale marmonna une réflexion indignée contre les « papistes ». Charpentier entendit et, apparemment, comprit, car il la toisa d’un œil noir. Blanchard lança à Dale un regard sévère avant de répliquer :
    — Certes, vous m’avez répondu, quoiqu’en Angleterre les aubergistes s’adressent à leurs clients avec plus de respect. Il se trouve que je vais rendre visite à des parents catholiques, à Douceaix, près du Mans. Point n’est besoin de me traiter en ennemi. Maintenant, ayez la bonté de me montrer ma chambre, et si je pouvais avoir de l’eau ou du lait chaud, je vous en saurais gré. J’ai l’estomac dérangé.
    L’expression de l’aubergiste révéla qu’en ces temps de carême, c’était une transgression presque aussi grave que l’hérésie, cependant il nous conduisit à l’étage et nous montra deux chambres, peu spacieuses mais propres. Harvey pressa son maître de s’installer dans la première, se demandant tout haut s’il y avait un apothicaire dans cette ville. Dale et moi prîmes la seconde, de l’autre côté d’une salle carrée.
    — Deux de vos hommes peuvent coucher entre les chambres, mais pas plus, dit Charpentier. Le reste ira dans la grange.
    Brockley apporta mes malles, juste à temps pour m’entendre semoncer Dale.
    — La maîtresse a raison, Fran. Dans ce pays, il faut garder nos opinions pour nous. Mais plus vite nous rentrerons et mieux cela vaudra. Ce qui suppose de poursuivre notre voyage dès que possible. Madame, avez-vous la moindre idée de ce dont souffre messire Blanchard ? Il devrait être remis de la traversée, comme nous. J’espère que ce n’est rien de sérieux.
    — Moi aussi, dis-je avec gravité. Messire Blanchard, malade dans une hostellerie française tenue par un aubergiste hostile, à la veille de troubles civils… Ce serait le comble de la malchance !
     
    Nous avions dîné en chemin, si l’on peut dire, de pain et de viande achetés dans la première auberge. Mais une chevauchée au grand air creuse l’appétit, et Dale se mit à marmonner qu’il restait de longues heures avant le souper.
    — Et s’il