Le prix du secret
d’enthousiasme que le capitaine Ross sourit.
— On dirait que l’ordinaire du bateau convient aux dames, après tout. Messire Blanchard, vous devriez vous restaurer, vous aussi. Vous en avez besoin.
— Les muscles de mon ventre sont endoloris tant j’ai vomi, se plaignit mon beau-père.
— Ah ! Nous ferons sans doute meilleur voyage, au retour. J’aurai du vin dans ma cale. Cela ne vous incommodera pas autant.
— Rien ne saurait être pire que le fromage, répondit Luke Blanchard, livide.
Nous arrivâmes à Nantes tard le lendemain et passâmes la nuit à bord. Au matin, Ryder et Brockley descendirent louer des chevaux et des mules. Nous dînâmes rapidement et débarquâmes peu après midi pour entamer notre voyage par voie terrestre.
Alors que pour la première fois je foulai le sol de France, je fus prise de vertige et faillis tomber. Mark Sweetapple me soutint par le bras.
— Voilà ce qui arrive après un voyage en mer, dame Blanchard. Vous retrouverez votre équilibre dans un moment.
Je le remerciai et réussis à sourire. Je savais que cette faiblesse passagère n’avait rien à voir avec l’équilibre sur terre ou sur mer. En me tenant sur le quai, contemplant le cours placide de la Loire, j’avais ressenti dans toute sa force ma raison secrète d’accomplir ce voyage. Dans toute sa force, et dans toute sa folie.
Je m’étais dit que j’avais besoin de repos ; que, ayant regardé en face un homme sur le point de mourir à cause de moi et lui ayant remis du poison pour abréger ses souffrances, je m’étais pervertie et risquais de contaminer Meg. Je m’étais persuadée que je devais m’éloigner d’elle et de l’Angleterre quelque temps.
En vérité, j’avais décidé de dire oui à Luke Blanchard dès l’instant où il m’avait annoncé l’itinéraire qu’il comptait suivre, prononçant ces mots magiques : la Loire.
À nouveau je contemplai le fleuve, et j’eus l’impression presque physique qu’il m’attirait à lui. Quelque part en amont habitait mon époux – du moins, je le supposais. En ces temps troublés, il pouvait fort bien être à Paris, mais sa demeure, le château de Blanchepierre, était située sur la Loire.
Je ne verrais jamais Blanchepierre, désormais, pas plus que je n’en deviendrais la maîtresse. J’avais entrepris ce voyage pour le plaisir doux-amer de me trouver quelque temps dans le même pays que Matthew, sur les rives du fleuve près duquel il vivait.
Stupide et ridicule sentimentalité ! Je l’aimais toujours, bien sûr. Et cet amour, je ne pourrais jamais l’extirper de moi. Mais le complot fomenté par Matthew eût ramené en Angleterre la chasse aux hérétiques, et parmi les conspirateurs se trouvait un homme qui était devenu ma hantise. Le Dr Ignatius Wilkins ignorait la pitié. L’année précédente, Matthew avait fui juste à temps pour conserver la vie sauve. Je m’en réjouissais, toutefois Wilkins s’était échappé avec lui, s’en sortant à bon compte. Je le déplorais, et plus encore que Matthew fût prêt à le considérer comme son ami.
Néanmoins, telle une jouvencelle éperdue d’amour, j’étais venue en France dans le simple espoir de passer, en secret, près du lieu où il demeurait. « Oh, mon Dieu, Ursula ! me tançai-je. Quelle bécasse tu fais ! »
À ma connaissance, Luke Blanchard ne savait rien de Matthew de la Roche ou de mon remariage, et je ne voulais pas qu’il l’apprenne. J’étais en mission pour la reine et je devais aider mon beau-père à ramener Hélène en Angleterre. Mieux valait appliquer mon esprit à ces desseins. Luttant contre le vertige, je montai sur mon cheval et me tournai vers le nord-est, où Douceaix nous attendait et, plus loin, Paris.
Nous étions en route depuis trois heures quand nous découvrîmes les corps. La piste passait devant un petit bosquet, à la lisière des champs, et des cadavres étaient pendus aux branches. Nous en sentîmes l’odeur avant que de les voir. À l’évidence, il s’agissait d’une exécution sommaire. Nous continuâmes avec prudence, parvenant à un hameau qui avait abrité une église. Celle-ci n’était plus que ruines calcinées. Les villageois, sombres et apeurés, confirmèrent ce que nous redoutions déjà.
Le massacre de Vassy avait porté les fruits que l’on pouvait prévoir : il y avait eu des représailles. Si la guerre civile n’était pas déclarée, le péril était imminent. Une fois sortis
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