Le quatrième cavalier
commandé
au destin.
— Hild dit qu’il n’existe pas de destin.
— Eh bien, elle se trompe.
— Qu’il n’y a que la volonté de Dieu et que, si nous
lui obéissons, nous irons au Ciel.
— Et si nous décidons de ne pas y obéir, n’est-ce pas
le destin ?
— C’est le Diable, dit-elle. Nous sommes moutons, Uhtred,
qui choisissent leur berger, un bon ou un mauvais.
Je crus qu’Hild avait pourri Iseult avec la foi chrétienne, mais
je me trompais. C’était un prêtre venu à Æthelingæg pendant que je me trouvais
au Defnascir qui lui avait farci le crâne de sa religion. Il était breton de
Dyfed et parlait aussi bien la langue d’Iseult que l’angle et le danois. J’étais
prêt à le haïr comme j’avais haï le frère Asser, mais le père Pyrlig entra le
lendemain matin dans notre cabane en tonnant qu’il avait trouvé cinq œufs d’oie
et mourait de faim.
— Je me meurs ! Voilà ce qu’il en est, je meurs de
faim ! (Il sembla heureux de me voir.) Tu es le fameux Uhtred, hein ?
Et Iseult me dit que tu détestes le frère Asser ? Alors, tu es un ami. Pourquoi
Abraham n’a pas pris Asser en son sein, je ne sais ! Peut-être ne
voulait-il pas que ce petit gueux lui grimpe dans le giron. Je ne voudrais, moi.
Ce serait comme allaiter un serpent, oh oui ! T’ai-je dit que j’avais faim ?
À deux fois mon âge, c’était un grand gaillard pansu et au
grand cœur. Il était hirsute, n’avait que quatre dents, un grand sourire et le
nez cassé.
— Quand j’étais enfant, me raconta-t-il, tout petit, je
mangeais de la boue. Le crois-tu ? Je suis donc devenu prêtre. Et sais-tu
pourquoi ? Parce que je n’ai jamais vu prêtre affamé ! Jamais ! En
as-tu vu ? Pas moi !
Et il me débita tout cela sans plus de façon. Puis il
bavarda gravement avec Iseult dans leur langue et il traduisit :
— Je lui disais que l’on peut préparer un merveilleux
mets avec des œufs d’oie. On les casse, on les bat, et on ajoute un peu de
fromage émietté. Le Defnascir est sûr ?
— Sauf si les Danes envoient une flotte.
— Guthrum y songe, dit Pyrlig. Il veut que les Danes de
Lundene envoient leurs navires sur la côte sud.
— Vous le savez ?
— En vérité, oui ! Il me l’a dit ! Je viens
de passer dix jours à Cippanhamm. Je parle dane, vois-tu, car je suis malin. J’étais
donc ambassadeur de mon roi. Moi, qui mangeais de la boue, ambassadeur ! Émiette
mieux ce fromage, mon enfant. Voilà. Je devais découvrir, vois-tu, combien d’argent
Guthrum serait disposé à payer pour embrocher les Saxons sur nos lances. Voilà
une belle ambition pour un Breton que de vouloir embrocher Saxons, mais les
Danes sont païens, et Dieu sait que nous ne pouvons laisser des païens en
liberté de par le monde.
— Et pourquoi ?
— Une idée que j’ai, rien de plus. (Il enfonça le doigt
dans un petit pot de beurre et le lécha.) Il n’est point vraiment aigre, dit-il
à Iseult. Que se passe-t-il quand on met deux taureaux dans un troupeau de
vaches ? me demanda-t-il.
— L’un des deux meurt.
— Voilà ! Les dieux sont ainsi, et c’est pourquoi
nous ne voulons pas de païens ici. Nous sommes les vaches, et les dieux sont
les taureaux.
— Nous nous faisons saillir, alors ?
Il éclata de rire.
— La théologie est difficile. Quoi qu’il en soit, comme
Dieu est mon taureau, je suis venu prévenir les Saxons.
— Guthrum vous a offert de l’argent ?
— Il m’a offert tous les royaumes du monde ! Or, argent,
ambre et jais ! Et même femmes, ou garçons si j’en avais le goût, ce qui n’est
point. Et je n’ai cru nulle de ses promesses. Peu importait, d’ailleurs. Mon
ambassade n’était que stratagème. Le frère Asser m’envoyait. Il voulait que j’espionne
les Danes, vois-tu ? Que je le raconte à Alfred, et c’est ce que je fais.
— Asser vous a envoyé ?
— Il veut qu’Alfred soit vainqueur. Non qu’il aime les
Saxons, mais parce qu’il aime Dieu.
— Et Alfred gagnera-t-il ?
— Si Dieu le veut, oui, répondit Pyrlig d’un ton jovial.
Mais les Danes sont puissants. Une grande armée ! Cependant, ils ne sont
point heureux, je puis te le dire. Et ils ont tous faim. Ils n’en meurent point,
mais ils se serrent la ceinture plus qu’ils ne le voudraient. Et depuis l’arrivée
de Svein, ils ont encore moins de vivres. Trop d’hommes à Cippanhamm ! Et
trop d’esclaves ! Ils cherchent des civelles, hein ? Cela
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