Le quatrième cavalier
roi. Il en
était fier, et c’était légitime, car étant d’origine paysanne il ne savait ni
lire ni écrire, alors qu’Alfred tenait à ce que ses officiers sachent leur
alphabet. L’influence d’Eanflæd était derrière cette promotion, car elle était
devenue confidente d’Ælswith. L’épouse d’Alfred n’allait nulle part sans elle –
pas même à l’église, où l’ancienne putain prenait place juste derrière elle. Et
lorsque Alfred tenait cour, Eanflæd était toujours présente.
— La reine ne t’aime point, me dit-elle l’une des rares
fois où je la trouvai seule.
— Elle n’est point reine. Le Wessex n’a point de reines.
— Elle le devrait être, s’indigna-t-elle. (Elle portait
une brassée de plantes, et ses bras étaient tachés de vert.) De la teinture, expliqua-t-elle
en m’entraînant vers une marmite bouillonnante où elle jeta les plantes. Nous
faisons du drap vert.
— Pourquoi ?
— Alfred ne peut combattre sans bannière. (Les femmes
cousaient deux bannières. L’une était le grand dragon vert du Wessex, l’autre
portait la croix chrétienne.) Ton Iseult s’occupe de la croix, me dit-elle.
— Je sais.
— Tu aurais dû assister à son baptême.
— J’étais occupé à occire des Danes.
— Mais je suis heureuse qu’elle soit baptisée. Elle a
entrevu la lumière.
En vérité, Iseult avait subi la rancœur des clercs d’Alfred,
été accusée de sorcellerie et d’être l’instrument du Diable, et cela l’avait
épuisée. Puis était arrivée Hild et sa religion plus douce, et Pyrlig qui
parlait de Dieu dans sa langue, et Iseult s’était laissé convaincre. J’étais
maintenant le seul païen du marais. Eanflæd jeta un regard accusateur à mon
amulette et me demanda si je pensais vraiment que nous pourrions vaincre les
Danes.
— Oui, répondis-je avec une assurance que je n’éprouvais
pas.
— Combien d’hommes aura Guthrum ?
Je savais que ces questions étaient en réalité celles d’Ælswith.
Elle voulait savoir si son mari avait des chances de survivre, ou s’ils
devaient s’embarquer sur le navire pris à Svein et fuir en Franquie.
— Guthrum mènera quatre mille hommes, au moins. Tout
dépend du nombre qui viendra de Mercie.
— Et Alfred ?
— De même.
Je mentais. Avec beaucoup de chance, nous pourrions
rassembler trois mille hommes, mais j’en doutais. Je craignais que personne ne
vienne rejoindre la bannière d’Alfred, ou que seules quelques centaines s’y
rallient. Nous étions trois cents à Æthelingæg : que pouvions-nous contre
la grande armée de Guthrum ?
Alfred se souciait des renforts et m’envoya au Hamptonscir. À
Hamtun, où se trouvait la flotte d’Alfred, les navires étaient toujours tirés
sur la grève. Burgweard, le commandant de la flotte, avait plus de cent hommes,
et ils gardaient les remparts. Il refusait de quitter Hamtun de peur que les
Danes attaquent. Mais j’avais le parchemin d’Alfred portant son sceau au dragon,
et je m’en servis pour lui ordonner de poster trente hommes à la garde des
navires et envoyer les autres à Alfred.
— Quand ? demanda-t-il d’un ton lugubre.
— Quand tu en recevras l’ordre, mais ce sera bientôt.
— Et si les Danes viennent ? S’ils débarquent par
la mer ?
— En ce cas, nous perdrons la flotte, et nous en
construirons une autre.
Ses craintes étaient fondées. Des navires danes croisaient
sur la côte. Pour l’heure, au lieu de tenter une invasion, ils étaient vikings :
ils débarquaient, pillaient, violaient, incendiaient et repartaient en mer. Mais
ils étaient assez nombreux pour qu’Alfred redoute de voir une armée entière
aborder quelque part et marcher sur lui. Cette peur nous tenaillait, comme de
savoir que nous étions si peu et l’ennemi si nombreux.
— L’Ascension, annonça Alfred à mon retour d’Hamtun.
C’était le jour où nous devions être prêts à Æthelingæg, et
le dimanche suivant, à la Sainte-Monique, nous allions rassembler la fyrd, s’il
y en avait une. On racontait que les Danes lanceraient leur attaque au sud sur
Wintanceaster, capitale de Wessex. Pour protéger celle-ci et barrer la route à
Guthrum, la fyrd se rassemblerait à la Pierre d’Egbert. Je n’avais
jamais entendu parler de cet endroit, mais Leofric m’assura qu’il était
important, car c’était là que le roi Egbert, grand-père d’Alfred, rendait ses
jugements.
— Ce n’est point une pierre, mais
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