Le quatrième cavalier
Nul ne répondit. Nous le regardions tous. Il dut
deviner que cette homélie sur saint Jean ne le servait point, car il fit un
geste sec de la main comme pour balayer toute cette sainteté.) Et demain, reprit-il,
est aussi un jour pour les guerriers, celui où nous occirons nos ennemis. Un
jour où les païens regretteront d’avoir jamais connu le Wessex ! (Il
marqua une nouvelle pause. Cette fois, un murmure d’approbation parcourut la
foule.) Ici est notre terre ! Nous combattons pour nos foyers ! Nos
épouses et nos enfants ! Nous combattons pour le Wessex !
— En vérité ! cria un homme.
— Et non seulement le Wessex, continua-t-il, enflant la
voix. Nous avons hommes de Mercie, Northumbrie et Estanglie ! (Je n’avais
vu personne d’Estanglie, et de Northumbrie, il n’y avait que moi et Beocca, mais
nul ne releva.) Nous sommes les hommes d’Anglie, et nous nous battons pour tous
les Saxons.
Le silence se fit de nouveau. Les hommes appréciaient, mais
l’idée d’Anglie était celle d’Alfred, non la leur.
— Et pourquoi les Danes sont-ils ici ? reprit-il. Ils
veulent nos épouses pour leur plaisir, nos enfants pour en faire des esclaves
et nos demeures pour s’y installer. Ils ne nous connaissent point ! martela-t-il.
Ils ne connaissent point nos épées, nos haches, nos lances et notre bravoure !
Demain, nous la leur enseignerons ! Demain, nous les tuerons, nous les
déchiquetterons ! Demain, le sol rougira de leur sang et retentira de
leurs gémissements ! Demain, nous leur ferons implorer notre merci !
— Pas de quartier ! cria un homme.
— Nulle merci ! répondit Alfred. (Je savais qu’il
n’en pensait pas un mot. Il aurait volontiers offert sa merci aux Danes avec l’amour
de Dieu, mais il avait enfin appris comment parler aux guerriers.) Demain, cria-t-il,
vous ne vous battrez point pour moi ! Je me battrai pour vous ! Pour
le Wessex ! Pour vos épouses, vos enfants, et vos demeures ! Demain
nous combattrons, et je vous le jure sur la tombe de mon père et la vie de mes
enfants, demain nous vaincrons !
Les vivats commencèrent à fuser. En toute honnêteté, ce ne
fut pas une grande harangue, mais Alfred avait fait de son mieux. Les hommes
frappèrent du pied et cognèrent leurs épées contre leurs boucliers, et le
crépuscule enfla d’une clameur qui résonna jusque dans les collines.
— Nulle merci ! scandaient les voix. Nulle merci !
Nous étions prêts. Les Danes aussi.
Les nuages s’amoncelèrent dans la nuit. Les étoiles
disparurent l’une après l’autre, et le mince quartier de lune fut englouti dans
les ténèbres. Le sommeil fut long à venir. Je veillai avec Iseult qui nettoyait
ma cotte tandis que j’affûtais mes armes.
— Tu vaincras demain, dit-elle à mi-voix.
— Tu l’as rêvé ?
— Non, je ne rêve plus depuis que je suis baptisée.
— Alors tu viens de l’inventer ?
— Je dois le croire.
La pierre crissait sur les lames. Tout autour, les hommes
aiguisaient leurs armes.
— Quand tout sera terminé, dis-je, nous partirons toi
et moi. Je nous bâtirai une maison.
— Quand tout sera terminé, tu partiras dans le Nord. Tu
retrouveras ton foyer.
— Alors tu viendras.
— Peut-être. Je ne puis voir mon propre avenir. Tout
est noir.
— Tu seras la dame de Bebbanburg, et je te vêtirai de
fourrures et te couronnerai d’argent.
Elle sourit, mais des larmes embuaient ses yeux. Nous
dormîmes peu, et bien avant l’aube nous nous préparâmes à la guerre.
Nous partîmes dans la lumière grisâtre. La pluie venait par
rafales dans notre dos. La plupart marchaient, nos rares chevaux portant les
boucliers. Osric et ses hommes ouvraient la route, car ils connaissaient la
région. Alfred suivait, à la tête de sa garde composée de tous ceux qui l’accompagnaient
à Æthelingæg, ainsi que Harald et les hommes de Defnascir et Thornsæta. Burgweard
et les hommes d’Hamptonscir l’accompagnaient eux aussi, tout comme mon cousin Æthelred
de Mercie, tandis qu’au flanc gauche se tenait le gros de la fyrd de Sumorsæte
commandée par Wiglaf. Trois mille cinq cents hommes. Les femmes étaient venues,
portant les armes de leurs époux ou les leurs.
Il faisait froid et la pluie rendait l’herbe glissante. Nous
avions faim, nous étions las et nous avions tous peur. Alfred m’avait demandé
de rassembler en tête une cinquantaine d’hommes, mais Leofric rechignant à en
céder autant dans ses rangs, je
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